Yaoundé? Ç‘est où ça?
(Félix Kama)
Quand un touriste cherche une destination pour ses prochaines vacances à travers le monde, à moins qu’il ne soit africain, ce n’est pas le nom Cameroun qui vient spontannément à l’esprit du tour opérator qu’il a choisi de consulter. Le match d’ouverture de la coupe du monde de football en Italie en 1990 obligea des centaines de millions de spectateurs à chercher dans quel continent était logé ce nom inconnu des annales footbalistiques. Mais bientôt, le pays de Roger Milla qui était parvenu jusqu‘aux quarts de finale de cette épreuve cette année-là rentra très rapidement dans l’anonymat dans lequel il semble se complaire jusqu‘à ce jour. Dans ce cas, il ne faut pas embarrasser davantage les gens en demandant le nom de la capitale de ce pays d‘Afrique centrale.
Et pourtant… Pourtant, ce pays logé au fond du Golfe de Guinée est un parfait condensé de toute l‘Afrique. Tandis que le peuplement comprend depuis les paléo soudanais, les bantous jusqu‘aux Pygmées en passant par les peulhs, la géographie s‘étend de la savane à la forêt vierge y compris la steppe. Ses 22 millions d‘habitants parlent près de 240 dialectes différents! Le camerounais qui s‘exprime en fufuldé comprend le camerounais qui parle le duala aussi bien qu‘un germanophone comprendrait le chinois! Evidemment, les choses qui s‘y passent sortent aussi de l‘ordinaire: l‘Afrique je vous le dis!
Tenez: les chiffres 7 et 9 sont compris dans la numérologie comme des chiffres mystiques. Yaoundé la capitale du Cameroun est baptisée „la ville aux sept collines“. Pourtant moi, lors de mon dernier séjour dans cette ville en 2014, j‘en ai dénombré au moins une dizaine! Le mot „Nkol“ désigne la colline dans le dialecte local de Yaoundé. Ainsi dans mes escalades montagnardes, j‘ai gravi Nkol Eton, Nkol Ndongo, Nkol Ewoé, Nkol Djoungolo (Djongoué), Mvolyé; les Montées Jouvence, Kondengui, Caveau, Elig-Essono, Elig-Edjoa et mes forces m‘ont abandonné aux pieds des Monts Mbankolo et Fébé! Peut-être à la période du baptême de la ville, la numérotation dans les langues locales s‘arrêtait au chiffre sept; peut-être la ville de Yaoundé s‘est étendue au-delà des sept collines et les urbanistes ont tout simplement oublié d‘actualiser son appelation. Comme il s‘avère difficile d‘actualiser des archives, ce serait une idée pas mal du tout de raser le surplus de collines, de combler les vallées à l‘aide de ce surplus de terre, d‘étendre de cette façon la ville afin de préserver le mythe d‘origine. Mais laissons-là mythes et collines et revenons au football.
Le Cameroun vient de prendre part à la dernière coupe du monde de football au Brésil. On peut dire que c‘est le pays africain le plus régulier à ce rendez-vous du gratin mondial, puisqu‘il compte à ce jour 7 participations. Tiens! Encore ce sacré chiffre sept! A chaque fois qu‘il est qualifié à une coupe du monde, le Cameroun a institué un match amical d‘adieu au vieux stade Ahmadou Ahidjo à Yaoundé, l‘unique stade de football de référence du pays, vieux de 1972 et qui subit des replâtrages quand la FIFA menace de le suspendre. Les matchs ne s‘y jouent que de jour parce que l‘alimentation en électricité est rompue depuis plus de 20 ans pour cause de factures impayées. Le match d‘adieu sert officielement aux joueurs de communier avec le public et recevoir les bénédictions des mânes des ancêtres afin de rééditer l‘exploit de 1990 et en passant, se faire un peu de blé sur les poches des spectateurs.
Qualifiés donc pour la coupe du monde de football au Brésil, les Lions Indomptables, nom de baptême donné aux équipes nationales du pays en 1972 ont livré un match d‘adieu au stade Ahmadou Ahidjo contre la redoutable équipe nationale de Moldavie le samedi 07 juin 2014. Le programme du jour avait pour point culminant la cérémonie des bénédictions de l‘équipe nationale à la fin du match. Le grand prêtre chargé du rituel est le Premier Ministre du Gouvernement, représentant personnel du Chef de l‘Etat. Le match s‘achève sur le score éloquent de 1-0 en faveur des Lions Indomptables. Pour la petite histoire, le capitaine de l‘équipe nationale du Cameroun, donné pour blessé arrive au stade en plein milieu de la seconde mi-temps. Tout le stade se lève comme un seul homme (y compris tous les membres du gouvernement!) pour lui réserver une ovation messianique, au point que l‘arbitre se trouve contraint d‘interrompre le match. C‘est que ce jeune homme a réussi l‘exploit de rester le footballeur professionnel le mieux payé de la planète pendant 3 ans! Cela mérite quand même un peu de reconnaissance partout où il apparaît. Le match, qui du fait de cette apparition divine a glissé au second rang des préoccupations des spectateurs reprend tant bien que mal et prend fin.
Tout le public se met alors debout pour le rituel de bénédictions. Les joueurs rentrent dans les vestiaires, certainement pour enfiler des tenues de circonstance. J‘imagine qu‘il faut arborer des tutus, se peinturlurer le corps, se munir de feuillages d‘arbres, se oindre le corps de parfums rares, se laver avec des décoctions et que sais-je encore. Ira t-on jusqu‘à égorger publiquement un bouc pour le sacrifier aux mânes de nos ancêtres? De loin, un orchestre de tam-tams et balafons accompagnés du son des cornes de boeufs, des flûtes en cornes d‘antilopes annonce la descente dans l‘arène du gourou de la cérémonie vaudou. Les militaires et les policiers forment des carrés spectaculaires au rythme de leurs fanfares respectives. Tous les Ministres-sorciers qui accompagnent le Premier sorcier de Ministre chef du Gouvernement sont habillés comme lui-même: en vestes-costumes-cravates-lunettes-de-soleil sortis tout droit des manufactures de grands créateurs de mode occidentaux. Les hommes Blancs adorent les costumes sombres. Le contraste leur va si bien. Mais des Noirs tout de noir habillés jusqu‘aux chaussettes et chaussures, avec des lunettes de soleil noires alors que la nuit ne va pas tarder…
Le spectacle de ce cocktail de traditionnel et de moderne fait kpmm kpmm kpmm dans mon coeur. Silence de mort. Le Premier Ministre et sa suite d‘apprentis sorciers s‘avancent vers le rond-point central. Toute l‘équipe technique conduite par l‘entraîneur de nationalité allemande, Volker Finke attend, bien alignée sur la ligne de touche. L‘officiant se place tout seul sur le point où on pose le ballon pour le coup d‘envoi. Silence de mort. On attend. Un ministre-sorcier lui apporte cérémonieusement le drapeau du pays, ce vert-rouge-jaune frappé d‘une étoile en or au beau milieu de la bande rouge. Tous les spectateurs reprennent avec une ferveur patriotique l‘hymne national. Mon voisin, les yeux fermés et la main droite posée sur le coeur s‘époumone tout en chantant faux. L‘écho des battements de son coeur parvient jusque dans mes oreilles. J‘ai la chair de poule. Je crois que ce trophée est déjà dans le sac. Avec une telle ferveur populaire, notre équipe ne doit se donner que la peine de se présenter sur les stades brésiliens. 10 bonnes minutes s‘écoulent, aussi longues qu‘une heure d‘attente devant le cabinet d‘un médecin. Silence de mort. On attend. Soudain, l‘entraîneur principal pique un sprint vers les vestiaires et revient quelques 3 minutes plus tard. Les joueurs seront là d‘un moment à l‘autre, le temps pour eux d‘achever leur concertation pour la prime de qualification à la coupe du monde. Silence de mort. On attend. 15 bonnes minutes s‘écoulent de nouveau, aussi longues que l‘attente d‘être reçu en audience par un Ministre Camerounais.
Une feuille de papier, ça n‘est pas du tout lourd. On peut même la tenir entre le pouce et l‘index d‘une seule main. Mais si on vous condamnait à la tenir levée au-dessus de votre tête du matin au soir, elle pourrait subitement peser des tonnes! Et, comme pour faire les choses dans l‘atmosphère qui sied, la nuit commence à assombrir le ciel au-dessus de Yaoundé. Elle menace même de tomber si les sorciers ne la retiennent pas. O temps, suspens ton vol! C‘est probablement à ce genre de méditations philosophico-poétiques que se livre le gourou Premier Ministre, chef-sorcier du Gouvernement camerounais. Silence de mort. On attend. 20 bonnes minutes s‘écoulent de nouveau, aussi lourdes que l‘attende d‘être reçu en audience par le Chef d‘Etat Camerounais.
Tout le staff technique de l‘équipe nationale se met en branle vers les vestiaires. Le public qui a senti que quelque chose de mal mauvais se trame commence à vider le stade. Il est connu chez nous que ces choses qu‘on fait la nuit relèvent de la sorcellerie noire et peuvent emporter celui qui n‘est pas suffisamment protégé. D‘ailleurs, à y regarder de près, on s‘aperçoit même que l‘obscurité traîne le pas sur les crêtes des collines de Yaoundé pour tomber! Des militaires et policiers rompent les rangs pour aller fermer les portes du stade, afin de contraindre les spectateurs d‘assister à la cérémonie. Quelque temps après, le staff technique revient se remettre en rang sur la ligne touche. Le capitaine devait d‘abord terminer de signer des autographes. Silence de mort. On attend. 7 bonnes minutes s‘écoulent de nouveau, éternelles comme l‘attente du retour du fils de l‘autre sur la terre.
Tous les spectateurs ont achevé de vider le vieux stade Ahamadou Ahidjo. Sans doute à cause de la nuit tombante, la plupart des policiers et militaires supposés partis faire parler leurs muscles, leurs matraques et leurs brodequins ont confondu faire parler la poudre et prendre la poudre d‘escampette. Le capitaine de l‘équipe nationale a refusé d‘aller prendre symboliquement l‘insigne le plus éloquent du pays. Les négociations des primes de qualification à la coupe du monde perdurent. Le Premier Ministre reste planté là dans le rond central du vieux stade déserté, tel un poteau électrique sans éclairage. L‘once de patriotisme au Cameroun se mesure à l‘épaisseur des primes que les joueurs de football reçoivent. L‘obscurité, fatiguée d‘être retenue inutilement sur les crêtes des collines de Yaoundé a finalement décidé de se répandre sur la ville. Le Premier Ministre est las d‘attendre les joueurs de l‘équipe nationale, les bien nommés Lions Indomptables. Tel un poteau électrique somnambule, il quitte le rond central et s‘en va remettre une étoffe étiolée à l‘entraîneur national Volker Finke. Le tout dans un silence de cimetière! A cause de l‘obscurité, j‘imagine qu‘il s‘agit du vert-rouge-jaune avec une étoile en or décrépie en plein milieu de la bande rouge décatie. Ce drapeau autrefois symbole de l‘unité nationale du Cameroun a été remis entre les mains d‘un Allemand! Tout un symbole. Cry, o the beloved country! Quel symbole!
Ainsi, après la qualification pour la coupe du monde en 2010 en Afrique du Sud, le Cameroun croyait avoir atteint le fond: 31ème sur 32 équipes. En 2014 au Brésil, les Lions Indomptables ont fait mieux: 32èmes sur 32 pays! Si hier encore ils étaient au bord du gouffre, à la prochaine coupe du monde, les lions indomptables feront à ce rythme un sensationnel bond en avant: ils seront 33èmes sur 32 équipes! Etant donné que le nom de baptême produit sur les joueurs l‘effet contraire, peut-être vaut-il mieux les rebaptiser en „Paresseux Indomptables“, du nom de ce mammifère à la lenteur exaspérante.
Toutes proportions gardées, si vous avez un jour visité l‘Afrique sans vous rendre au Cameroun, alors vous n‘avez jamais été en Afrique. La définition officielle de ce pays par son Président est: „Le Cameroun, c‘est le Cameroun“ fin de citation. Et si davantage on vous demandait „Yaoundé, c‘est où ça?“ Répondez: c‘est la capitale du pays où rien ne se passe comme partout ailleurs.
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