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Aujourd'hui plus qu'hier, il y a des Noirs dans le monde entier: Noirs Américains, Noirs Européens, Noirs Asiatiques, Noirs Africains, brefs Noirs noirs et Noirs mélangés. Que veut dire aujourd'hui être Africain? Ta langue quotidienne n'est plus africaine; ta religion n'est plus celle de tes ancêtres; ton économie n'est plus celle du troc; ton droit n'est plus le droit d'aînesse; veste et cravate sont tes vêtements de parade; tu ne manges plus le manioc; ta peau est violemment maquillée, tes cheveux ou perruques lisses et ton ciel n'a plus de clairs de lune cadencés de danses autour du feu; tes contes sont les aventures des films occidentaux. Qu'est-ce qu'être Africain de nos jours? Une race en voie d’extinction? F.Kama

Essima la femme mystère (FR)

Essima la femme mystère

Félix Kama

 

Note de l’auteur: cette œuvre dramatico-narrative s’exprimerait meilleurement grâce à un acteur/actrice jouant du mvet, de la cora, une guitare ou en  tout cas un instrument à corde. La musique est donc quintessencielle ici, autant que le chant, la danse, ce qui n’est qu’une tautologie dans ce genre artistique. Dans l’extrême rigueur, la musique en off est acceptée. Je ne dis pas qu’un acteur unique doit jouer la pièce. Parce qu’un conte suppose une foule, et pas seulement de spectateurs. Si on imagine au fond à droite de la scène un lit sommaire, au centre un bosquet et un palmier au milieu de deux concessions, à droite la sortie du village vers la rivière, est-ce trop demander ? Au centre gauche, un appareil téléviseur tournée 3/4 vers l’acteur. Et la calebasse de vin est posée en évidence sur la scène, qui est le complément d’objet direct du musicien, muse, rafraîchissement, passerelle vers le monde fantasmatique, ce  sans quoi la conversation manque de commodité. Le costume, s’il n’est pas occidental, est fait pour la plus grande expression corporelle. A votre santé !

 

 

(Le conteur arrivant par la salle en chantant, fait le tour du propriétaire. Le début du premier paragraphe coïncide avec l’accession sur le plateau)

ékang bisso bisso élang élang ééé

éé éééé éé

ma dzo nékang bisso bisso élang éland ééé

éé éééé éé

bi man ya sòòò a mot ékang éé

éé éééé éé

aahaan aahaan melò me bààà

me bààà fò

ékang mboloo

essa ngom

ma dzo nékang mbolo

essa ngom

ékang mboloo

essa ngom

essa ngom aa ba betoaa

ayaaaa aaaaaaaaaaaaaa

(S’emparant d’une calebasse de vin, il en verse le contenu dans 5 verres posés à même le sol. Mais le vin ne suffit à remplir que 4 verres. Il va remettre le 5ème vide à un spectateur)

Voici 4 verres de vin de palme. Quand j’aurai bu le premier, je vous délivrerai le la de l’histoire de Noah. Au second verre, chaque vrai homme ici aura envie d’être à la place de Noah Bella. Au 3ème verre, chacun de ces vrais hommes aura pitié de Noah Bella Nanga. Quand la dernière goutte du quatrième verre se noiera dans mon gésier, toutes les femmes ici acclameront Noah Bella le fils de Bella Nanga. Et pour commencer (il ramasse le 1er verre et effectue un rituel d’offrande)

 

Buvons! Je bois à votre santé, c’est tout le malheur que je vous souhaite

Nectar du ciel, nectar des arbres, nectar des plantes et des insectes qui butinent

Béni soit celui qui t’a découvert et m’a fait don de tes délices sanctus sanctus

Ne me monte pas dans la tête, éparpille dans mon ventre les chaleurs de la vie.

Je bois tu bois il boit nous buvons mais ce que je bois n’est pas de l’eau amen.

Voici que l’ombre du palmier s’est inclinée depuis la rive gauche, elle s’est graduellement rétrécie, puis dans un corps à corps avec la racine mère a marqué le pas sur place. C’est toujours ainsi, dans toutes les latitudes, les enfants se blottissent sous l’ombre maternelle quand les envies de midi ont élu domicile dans leur estomac. Mais aujourd’hui et ici, l’ombre du palmier, sevrée a repris sa route,  et s’est allongée vers la côte droite. Elle s’est tendue et s’est étirée. Lors elle s’est distendue. Donc l’ombre a rattrapé le soir par la patte. Le maître des choses, Elo-Pogo a sonné la fin de la journée tôôôôô et les travailleurs, les ayant-travaillés et “les peut-être-travailleront” sont accourus de partout, de Komo-Ngòbo, de Reutlingen, d’Evodoula, de Gerlingen, de Korogo, de Sindelfingen  et tous les autres “ingen“… (Toujours donner les noms de villes avoisinantes du lieu du spectacle) Le peuple est venu à vélo, en tramway, en moto, en voiture, voire en taxi, en avion et surtout à pied, pour venir écouter l‘extraordinaire aventure de Noah Bella Nanga, fils de femme Bella Nanga. Oui je vous le dis, car c’est bien de l’histoire de Noah Bella Nanga qu’il est question.

Si ton dos te démange, fais-le gratter par ton voisin; si tu as une question, pose-la à celui qui sait. Si la signification d‘un mot t‘échappe, consulte le dictionnaire. Mais, dites-moi, majesté si l’envie d’aller aux toilettes vous prend, enverriez-vous votre esclave vous y soulager? Et si le w.c te révèle qu’à gauche de la commissure  de tes fesses il y a un gratte-moi-là, douterais-tu de cela? Je demande. Quel espoir me reste t-il? Les choses sont si bien faites là-haut: quand ma dernière dent est tombée, ma carie dentaire a f… le camp. Je plains seulement les microbes qui rongent mes années : quand j’aurai fini, que leur adviendra t-il ? Ecoutez ceci: un homme, même borgne reste un homme. Un homme, même estropié est encore un homme. Un homme, même manchot est aussi un homme. Même un enfant est un homme … en puissance. D’où vient-il qu’un homme qui ne peut pas se lever, un homme qui ne peut imiter la tête du margouillat n’est plus un homme? Je ne répète tout haut que ce que la radio-trottoir dit tout bas. La faute n’est pas celle du conteur, c’est la faute à ceux qui l’écoutent. Tue le messager qui t’apporte la mauvaise nouvelle, mais majesté, la nouvelle deviendra t-elle par conséquent bonne? Ton père m’a chargé de te dire, majesté, intègre l’esclave, cela veut dire façonne-le à ton image jusqu’à ce que rien ne subsiste de lui qu’un souvenir et les mensonges grossiers des livres d’histoire. Mais fais bien attention, majesté, n’apprends jamais au singe à lancer les cailloux si tu veux préserver ta tête. Etre à ton image ne veut aucunement dire être ton égal ! C’est écrit dans les écrits saints.

La femme demande chaque nuit au grand distributeur automatique de lui accorder progéniture, mais dès que progéniture un pied devant l’autre sait placer, aussitôt que progéniture les usages de sa bouche découvre, alors le regret fait son lit dans le cœur de la femme. Ne me tenez point responsable de ce que ma bouche dit, je ne transmets que ce que le cœur de toutes les Bella Nanga ici et ailleurs pense tout secrètement. Car la femme s’appelait Bella Nanga, la mère de Noah. Noah est le fils de Bella Nanga, c’est pourquoi on le nomme Noah Bella Nanga.

Le mur de la maison avait dit un jour que se taire ne signifie pas qu’on n’a rien à dire, parce que si les murs ouvraient un tant soit peu leurs archives buccales, beaucoup d’entre vous ici ne mettraient pas pied de jour sur la route. Le péché n’est  pas du conteur, mais des travailleurs, des ayant-travaillé et des “travailleront-travailleront-pas?”

Mes amis, le destin de femme Bella Nanga est un cas d’université! Tenez: cinq fois ventrue, 5 mort-nés; nullement découragée, Bella Nanga fit alors des jumeaux: ils crurent bon d’aller voir ailleurs, par exemple d’où ils étaient venus. Elle redoubla des efforts couplés et fit des triplés: ils ne se laissèrent pas impressionner et suivirent l’un après l’autre leurs aînés.

(Scène de l’accouchement de Ndzana: imaginer un accouchement des plus pénibles, des accessoires sont nécessaires. 1er jour exercices prénataux; 2ème jour chorégraphie de la douleur; 3ème jour prières; 4ème jour repentance; 5ème jour décoctions; 6ème jour mots doux; 7ème jour  insultes, avec panneau de signalisation attention sortie camions. toute la scène est bercée par un bruitage discontinu et un vent violent. A la fin, éclairs par une lumière stroboscopique et grand coup de tonnerre final suivi des vagissements d‘un bébé. Chanson de Noël- venez mes enfants, accourez venez tous ?)

Voici Noah! Autour du cou de l’enfant s’était enroulé le cordon ombilical. Moi qui vous parle, je connais le chemin qui mène à la sortie du ventre d’une femme: c’est un sentier sinueux! Heureusement qu’il est glissant. L’enfant Noah cheminant, trouva 3 dents qui traînaient sur le sentier: il les chaussa. Un questionnaire traînait par-là, très certainement oublié par un ancêtre de Mathusalem, et noirci par une unique question. L’enfant s’en munit de la main gauche, tandis qu’il maintenait sa main droite fermée. Aussitôt enfanté comme on dit, il coupa lui-même son cordon ombilical, aaaa tsot! Une dent; aaa kpep! Deux dents; aaa gnoasss! Trois dents. Ce qui eut pour conséquence dit-on, de lui libérer la parole. Mais n’anticipons pas. Regardez-moi cet enfant-homme! Qui ne connaît pas la laideur d’un bébé devait voir Noah le fils de femme Bella Nanga! A quoi le comparer, les équivalences ont pris leurs distances avec mon cerveau. Vivez longtemps sur la terre, et vous verrez des choses. L’enfant nouveau-né est si laid que tout le sucre des plantations d’esclavage des Amériques n’aurait pas réussi à atténuer cette horreur. Tellement laid que les oignons se mirent à pleurer à sa naissance face à cet enfant laid qui non content d’être laid, riait, riait et riait. Confuse devant cette étrangeté, la grande prêtresse sage-femme appliqua de toutes ses forces une claque plutôt sur les fesses de la maman, ban ! Mais cela, c’est l’histoire qui le dit, pas moi. Un nouveau-né qui est laid, cela est acceptable et même compréhensible. Regardez vous-même le résultat à côté de vous ! Un nouveau-né qui rie, cela est admirable et même merveilleux. Mais un bébé vilainement laid et qui rie… Cela fait peur aux poltrons et intrigue les plus courageux.

*                              *

 

– “ Un enfant ne pose pas ce genre de questions à sa mère ! Si tu la répètes une autre fois, je te frappe de malédiction. ”

Ah oui, le père de Noah justement? Si vous me posez la question, je me gratterai la tête, j’ausculterai le ciel et fixerai mon nez sur la terre; je lirai ma Torah, je lirai mon coran, je lirai ma bible, je consulterai mes cauris et vous répondrai sincèrement:  “Voici un chapitre sur lequel le livre de Dieu lui-même n’est pas très éloquent“. Toujours est-il que 1, 2,3 ans, 4 ans peut-être, Noah s’employa à délaver assidûment ses fonds de culotte sur les bancs stériles de l’école. Qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire trouvera toujours une excuse. Fiche disciplinaire de Noah l’écolier: (il sort un bulletin) élève dissipé, rêveur, semble toujours faire des plans pour un ailleurs. A se demander ce qu’il allait chercher dans cette galère. (Repliant et empochant le bulletin de Noah) Que je vous dise? Tel que Noah observe souvent l’institutrice, il est clair que sa tête semble éternellement emprisonnée dans une interrogation existentielle. La bouche de Noah est en forme de “Excusez-moi-je-vous-en-prie-s‘il-vous-plaît-pardon-est-ce-que-trois-points-de-suspension-sans-hop-là”. Un jour, la pauvre femme n’en pouvant plus de se voir ainsi détaillée, demanda à Noah ce qui jouait au ping-pong dans sa petite tête.

– Madame, vous qui êtes une femme et une dame, peut-être êtes-vous épouse        ou amoureuse; vous seriez mère d’enfant et même sœur de quelqu’un, pouvez- vous me définir ce que c’est que la femme?

– Où sont tes affaires Noah?

– Les voici madame

– Où est ton cahier Noah Bella ?

– Le voici madame.

– Où est ton ardoise Noah Bella Nanga ?

– La voici madame.

– Où est ton crayon Noah?

– Le voici madame.

– Où est ton cartable Noah Bella ?

– Le voici madame.

– Noah Bella Nanga mets toutes tes affaires dans ton cartable.

– C’est déjà fait madame.

– Noah lève-toi.

– Je me lève.

– Noah Bella ramasse tes affaires, puis ramasse tes deux pieds; pose le pied gauche devant le droit, puis le pied droit devant le gauche ainsi de suite jusqu’à      la porte.

– Je suis au niveau de la porte madame.

– Noah Bella Nanga, poursuis ton chemin et ne remets plus jamais les pieds dans un lieu où on dispense de l‘éducation aux enfants.

– Madame, merci pour tout et veuillez refermer la porte s’il vous plaît.

C’est ainsi que Noah Bella le fils de Bella Nanga abandonna le sentier de l’école.

*                               *

Notre venusologue passa le temps sans succès à interroger les petits poissons de la rivière Ngòbò qui coule à la sortie du village. Il grimpa jusqu’à Tòm i duma la cime du baobab le plus haut, mais le ciel, d’habitude si prompt à donner réponse aux questions métaphysiques restait étrangement muet. Aucun tonnerre d’approbation, aucun éclair de menace. Au contraire, de gros nuages noirs et rapides chassaient d’autres nuages non moins noirs, mais moins rapides qu’eux. Poursuivant son travail sur le terrain, notre chercheur descendit les ravins les plus abrupts, vouk vouk vouk. Mais la terre, par un vigoureux tremblement, secoua la tête, hébétée. Il questionna les vieillards édentés et aux têtes blanches; les enfants à l’abdomen proéminent et dont la morve coule du nez;  les vieilles femmes à 3 pieds et dont la bouche ne sert plus qu’à téter une la pipe. Il interrogea une journée sans et une journée avec soleil : rien. Il interrogea une nuit noire et une nuit avec lune : njiet ! Il passa même le temps à interroger le temps qui passe. La femme demeurait derrière un voile plus noir, à dire celui des femmes d‘Afghanistan. Mebom’son le cimetière ne fut pas plus éloquent.

(Chanson, mininga a ne me sôro messimba) C’est ainsi plongé dans ses études vénusiennes que Noah traversa sans révolte l’âge de la puberté. Et hou là là, chaque nuit qui passait, cela inquiétait femme Bella Nanga. C’est que chez nous là-bas, et je crois qu’ici aussi, quand un jeune homme atteint la puberté, c’est toujours un objet de fierté pour ses parents d’entendre qu’il lutine déjà les filles. Est-ce que je mens? Et d’ailleurs, si cela ne se passe pas ici comme ça, chez nous là-bas c’est comme ça que ça se passe.

Lasse d’attendre cette rumeur, Bella Nanga la mère de Noah Bella demande à une de ses co-épouses ci-devant Essima de tester Noah pour voir si son fils est un homme… un vrai. Un : Essima est une femme, et une vraie. Deux : Essima est une femme mariée. Trois : Essima est une femme mariée, belle comme la lune, on dirait qu’elle est la preuve visuelle la plus indiscutable que l’homme ne descend pas du singe. Quatre : Essima est une femme mariée, belle comme la lune et la robe un peu trop… légère. Je n’invente rien, demandez à la brise du soir si je mens. D’ailleurs  le pauvre mari d’Essima a démissionné depuis longtemps face à l’inextinguible soif de son épouse de mesurer la longueur de la braguette de chaque pantalon qui passe devant sa cour. La thèse de doctorat en luxure de dame Essima avait pour titre “Du devoir de la femme à faire traverser les jeunes garçons du stade de l‘enfance à l‘âge adulte“ mention très honorable, avec félicitations du jury et sommation de publication.

(Tout ce texte qui suit doit être dit avec célérité, presque sans respiration) Or donc Essima, vêtue d’un décolleté qui tend désespérément la main en direction d’un pagne volontairement noué négligemment, lequel s’ouvre sans intercalaire directement sur … “la femme“. Et pour couvrir cette “la femme“, un string dont le rôle est de démontrer l’inutilité du vêtement qui prétend le recouvrir. Mais passons, on va y revenir. Un après-midi donc, à un bosquet qui sépare deux concessions, à l’endroit exactement où  un palmier a jeté son ombrage sur la route, Noah vient sa part là, Essima vient sa chose comme ça, Essima coince Noah, Noah coince Essima. C’est comme si le trottoir était large de 21 centimètres. Essima regarde Noah, Noah regarde Essima.  Silence.  Face à face, seuls à deux, deux yeux à la hauteur de deux yeux, un nez qui aspire ce que l’autre respire, une bouche à la hauteur de l’autre bouche, deux oreilles du côté droit, deux oreilles du côté gauche, poitrine haletante provoquant poitrine bombée et les hanches ! (fin de la tirade, puis comme confidentiel) Entre nous, avez-vous vous aussi remarqué comme moi que quelle que soit la différence de taille entre l’homme et la femme quand ils sont debout, une fois en position horizontale, ils ont tous deux la même taille ? Génial non ? Bon ! Laissons les hanches à hauteur des mains, là où le connaisseur les a si justement placées. Revenons à Noah et Essima ou Essima et Noah si vous préférez. Le face-à-face se poursuit  sans avocat, sans juge, sans issue de secours pour éphèbe en danger, avec pour seuls témoins le ciel, la terre, le palmier et le bosquet.

  • Noah fils de Bella Nanga, fort comme un buffle, m’accompagnerais-tu à la rivière pour m’aider à hisser la calebasse d’eau sur la tête ?

*                                   *

Savez-vous quoi ? Si l’accoutrement de Essima laissait à peine cacher quelque chose, il faut dire que nue, cette femme pourrait diviser les hommes de l’église de Dieu sur certains vœux.  Je n’ai vraiment rien contre l’industrie de l’habillement, mais j’avoue que les vêtements constituent une infraction à l’harmonie de ce beau corps nu.  Noah est tétanisé: de peur ou d’envie? Nul ne sait. Abandonner une femme pareille dans un état pareil s’appelle refus d’assistance à une personne en danger. Noah doit mettre la main dans la pâte, car Essima logiquement ne peut nouer un pagne avec une seule main, puisque l‘autre main soutient la calebasse qui tangue sur sa tête. (Intermède musical). Que peut-on faire quand on est dos au mur ? Alors Noah bondit et noue aussi bien qu’il peut le pagne autour des reins nus de Essima. Subitement, il se déverse sur Noah en 17 secondes le plus violent orage de la création: une récompense qui tombe du ciel, la calebasse d’eau s’est renversée sur eux deux.

– Je m’excuse de ma maladresse, dit Noah en détalant, je crois que je vais aller      chez moi me changer les vêtements. (Musique mélancolique classique)

*                                   *

 

(Tout ce texte qui suit doit être dit avec célérité, presque sans ponctuation) Or un jour donc Essima, vêtue d’un décolleté qui tend désespérément la main en direction d’un pagne volontairement noué négligemment, lequel s’ouvre sans intercalaire directement sur … “la femme“. Et pour couvrir cette “la femme“, un string dont le rôle est de démontrer l’inutilité du vêtement qui prétend le recouvrir. Mais passons, on va y revenir. Un après-midi donc, au bosquet qui sépare deux concessions, exactement à l’endroit où  le palmier a jeté son ombrage sur la route Noah vient sa part là, Essima vient sa chose comme ça, Essima coince Noah, Noah coince Essima. C’est comme si le trottoir était large de 21 centimètres. Essima regarde Noah, Noah regarde Essima.  Silence.  Face à face, seuls à deux, deux yeux à la hauteur de deux yeux, une bouche à la hauteur de l’autre bouche, deux oreilles du côté droit, deux oreilles du côté gauche, poitrine haletante provoquant poitrine bombée et les hanches ! (Semi confidentiel) Entre-nous, avez-vous aussi remarqué que quand quelqu’un se retourne pour regarder une personne qu’il vient de croiser, c’est uniquement pour vérifier si la vue arrière confirme la vue de face ?   Bon laissons les hanches à la hauteur des mains, là où le connaisseur les a si justement placées. Revenons à Noah et Essima ou si vous préférez  Essima et Noah. Le face-à-face se poursuit  sans avocat, sans juge, sans issue de secours pour éphèbe en danger, avec pour seuls témoins le ciel, la terre, le bosquet et le palmier. Ha ha ha! Il y a même quoi? C’est seulement l’homme qui a peur. Sinon il n’y a même rien.

– Noah fils de Bella Nanga, fort comme un buffle, ce soir j’aurai un gratte-  moi-là qui démange sur mon dos, serais-tu gentil de  me le venir gratter? Tu       cueilliras en récompense du miel de la ruche de ma cave autant que tu le      voudras. (Faire de Essima une vraie coquette et allumeuse)

– Volontiers, il est vrai que j’ai beaucoup à faire en ce moment.

Hum hum hum ! Quand je dis hum hum hum, cela veut dire beaucoup de choses. A peine les fatigués rayons du soleil ont commencé à faire leurs aurevoirs aux cimes des grands arbres; à peine les grillons ont commencé à tester leurs cordes vocales; à peine le rossignol a donné le la de sa merveilleuse mélodie que Noah, plus rapide que l’éclair, plus enthousiaste qu’un extrémiste fanatique précipite son corps dans la case de Essima. La belle femme a mis les petits plats dans de grandes marmites: le parfum tschouraï distille des effluves aphrodisiaques dans un flacon au chevet du lit; des fleurs sauvages au parfum délictueux tapissent le sol de la case; le lit se cache sous des voilures princières, bref tout un ordre trop parfait pour être quotidien. D’ailleurs je ne vous apprends rien, chacun de vous se rappelle de la première fois… non, vicieux ! Je parle de la première visite de l’être aimé à domicile.

(Il entreprend de monter une tente ou 1 lit dépliant sur un coin de la scène) Un poisson tout frais, c’est-à-dire pêché par Essima elle-même, aussi gros que ma petite cuisse gauche, ramené à la maison par la pêcheuse elle-même, vidé nettoyé par ses soins propres. Regardez le saumon couché sur son lit de messep parsemé d’herbes fines d’ossim mariné longuement dans une sauce de ndjansan traversée de long en large par d’épais quartiers d’oignon rouge le tout saupoudré de sel et de petit piment nton zoura. Puis enfin braisé patiemment, huilé lentement, tourné et retourné doucement, bref cuit méthodiquement et avec amour. Un traitement spécifique a été réservé à la tête du poisson: de petites herbes de tò basi mouillées de la sueur des cuisses de Essima accompagnées de paroles incantatoires ont été frottées sur ladite tête. Si Noah avait montré assez tôt quelque intérêt pour la gent féminine, sa maman l’aurait mis en garde contre la consommation de la tête du poisson chez une dulcinée. Hélas, hélas. Voici Noah !

*                                   *

– Noah aurais-tu vu mon comprimé de somnifère quelque part sur le lit en te          couchant?

– Quelle couleur avait-il?

– Comment le saurais-je dans l’obscurité?

– As-tu cherché sous le lit? Très souvent on trouve sous le lit des choses qu’on a    cessé de chercher depuis longtemps. (Avec une voix  ensommeillée)

– Je n’ai toujours rien trouvé

– En tout cas, s’il survient un problème dans la nuit, la sagesse recommande d’attendre le matin. Alors on y verra plus clair. Sur ce, Noah s’endormit souup ! Comme une moitié d’épave de navire échoué à 23 mètres de la côte.

(S’emparant de la calebasse de vin)

Buvons! Je bois à votre santé, c’est tout le malheur que je vous souhaite

Nectar du ciel, nectar des arbres, nectar des plantes et des insectes qui butinent

Béni soit celui qui t’a découvert et m’a fait don de tes délices sanctus sanctus

Ne me monte pas dans la tête, éparpille dans mon ventre les chaleurs de la vie.

Je bois tu bois il boit nous buvons mais ce que je bois n’est pas de l’eau amen.

C’est couchée sur le côté et dos au voisin qu’elle s’est résolue à attendre le petit matin.

(Dialogue en voie off. Elle appelle une amie au téléphone.)

L’amie : Alors ?

Elle : Alors quoi ? Rien

L’amie : As-tu fait comme il faut ?

Elle : Ca ne donne toujours rien.

L’amie : La poudre de corne de rhinocéros ?

Elle : Aucun effet. Il a pourtant vidé le plat de nourriture.

L’amie : Il a bu le truc ?

Elle : Oui dans la boisson, à très forte dose même.

L’amie : As-tu respecté le timing ?

Elle : Scrupuleusement

L’amie : Et la literie ?

Elle : Changée, fleurie et parfumée.

L’amie : Le truc sous le lit ?

Elle : Il est bien en place.

L’amie : La chose sous l’oreiller, tu l’as placée à l’endroit ou à l’envers ?

Elle : (Vérifiant sous l’oreiller) Pas d’erreur, elle est à l’envers.

L’amie : Très bien. Et la lumière ?

Elle : Adéquate. Et si cet homme…hummm Est-ce qu’il est vraiment…

L’amie : Non, cela ne peut être possible. Avec un corps pareil… Les études du      Pr. Dr. Abinamba montrent que lors de la première fois, le trac provoque chez        l’homme une intense perturbation du rythme cardiaque qui fait apparaître chez       le sujet sudation, tremblement, pertes de la mémoire, respiration saccadée,          bégaiement  et peur d’échouer. L’adrénaline supposée activer la circulation sanguine crée par envahissement des veines et artères des vagues déferlantes   qui bouchent les voies d’irrigation et le sujet a alors tendance à se replier sur         lui-même, voire à faire le tourne-dos toute la nuit.

Elle : Tu crois vraiment…

L’amie : Non, non là c’est ton imagination qui vagabonde. L’homme est      comme une ombre : poursuis-là, elle te fuit ; fuis-là, elle te poursuit.

Elle : Pourvu qu’il ne soit que saoul.

L’amie : D’ailleurs, les gens sont différents: il y a les minuiturnes, il y a en a         qui aiment travailler pendant la journée, il y a les vespéraux, il y a les 10 heures, on a même connu un digital.

Elle : Tu veux dire que lui, il doit être un très tôt matinal.

L’amie : On ne peut quand même pas manger la sauce et laisser la viande ! Patience, patience, patience. Si le gibier qu’on a tué aujourd’hui se décompose,         c’est qu’il était pourri avant sa mort. D’ailleurs il n’y a rien de mal à débuter la         journée par un exercice d’éveil du corps. La vérité se trouve dans le chiffre du    prix, ce sont les zéros derrière qui l’alourdissent. Dors bien.

Elle : J’essaierai.

(On entend 5 coups du réveil du matin). Bien dormir? Elle avait bien de l’humour, l’amie. On peut tromper un enfant, on peut tromper un ami, mais on ne peut pas tromper ses propres yeux. Essima se souvient que sa maman chérie lui avait un jour dit: “si un homme ronfle toute la nuit, cela est acceptable; mais s’il ne se lève pas à 5 heures du matin, c’est qu’il y a un problème soit à la gauche, soit à la droite du lit.” Aussitôt dit, aussitôt fait. Et comme l’aube vient d’entamer la défloraison de ses pétales, Essima crie : « à l’attaque ! »

“La vérité doit sortir de sous la couverture, ici et maintenant. On va voir cela” (à part soi)

– Noah! Noah, c’est comment! Tu dors?

– Comment “comment”? Tu as interrompu mon rêve

– Tu pourras rêver une autre nuit

– Comment puis-je rêver si je n’ai pas assez de temps pour dormir ?

– Noah, c’est les yeux ouverts que l’on fait les rêves les plus merveilleux. Si tu      veux vraiment rêver, alors réveille-toi!

– Les esprits étaient sur le point de me montrer comment dénouer un mystère.

– En tout cas, à ce que je crois, tu es un homme, pas un esprit. Accomplis     d’abord ton devoir d’homme, peut-être pourras-tu alors t’élever dans les     vertiges de la dimension spirituelle. Noah, rapproche-toi et écoute la musique       de mon cœur.

– Je n’entends rien.

– Plus près.

– Toujours rien.

– Evidemment, si la prise n’est pas enfoncée…

– Concrètement là, que me veux-tu?

– Mon bouton est toujours-là. Il a même mûri.

– Quel bouton? Laisse-moi en paix, méchante femme!

*                                        *

 

Noah Bella Nanga fut en un battement de cils découvert, couvert, recouvert, examiné, palpé, tâté, pesé, oint, frictionné, soupesé, mesuré, jaugé, gratté, positionné, malaxé, trituré, pincé, manié, aspergé, reniflé, massé sous toutes les coutures de sa viande humaine. Cela dura à peu près deux éternités. Le cobaye n’en pouvait plus. Noah but des choses, inhala des trucs et fut purgé façon.  Il était très certainement plus facile pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille que de copier le coup de tête du margouillat. Enfin, puisque tout a quand même une fin, le coq chantait 3 heures du matin lorsqu’un murmure d’approbation signa d’un « ho ça suffit-là » le stop du calvaire du jeune homme.

Les rayons du soleil du matin distillaient en mondovision un relent de victoire. La joie et les maladies sexuellement transmissibles ont ceci en commun qu’elles sont contaminables. Noah avait envie de dire à tout passant : sais-tu que je suis un homme, un vrai ? Depuis Obam-l’épervier jusqu’à Mebom ‘son-le-cimetière en passant par Esselgui-le-petit grillon, Pep-le-petit-vent, Bilòk-bi-gnòn-les-herbes-du-sentier, Otan-la-chauve-souris, Tòm-i-duma-la-cime-du-baobab ecetera ecetera, chacun en fut personnellement édifié.

(Chorégraphie de la virilité)

*                             *

 

 

– Noah laisse-moi, je suis fatiguée

– Je t’apporte du yaourt de feuille de vitamine C

– Noah, non ! C’est plutôt que j’ai la migraine

– Il y a de l’aspirine dans mon yaourt

– Noah, en vérité j’ai mal au dos

– Je vais te le masser aller-retour

– Noah j’ai des brûlures bas ventrales.

– Un cousin au frère de mon grand-père maternel était sapeur-pompier, j’ai hérité de lui.

– C’est bon ! Quand on est couché à terre, on ne peut tomber plus bas.  Rentre dans ma couche !

 

Hum hum hum ! Quand je dis hum hum hum, cela veut dire beaucoup de choses. Là où Essima aurait encore vaqué à deux-trois occupations superflues, Noah lui, fonce au plus essentiel ; là où Essima aurait encore relevé ses seins, Noah lui, fonce au plus essentiel ; là où Essima se serait d’abord aspergée de déodorant, Noah lui, fonce au plus essentiel ; là où Essima aurait d’abord usité son bucco vaporisateur, Noah lui fonce sur le plus essentiel ; là où Essima aurait d’abord lissé ses sourcils au crayon, Noah lui, fonce dans le plus essentiel ; là où Essima aurait d’abord enfilé son string, Noah lui ôte son pantalon en même temps que son caleçon. Mes frères, c’est ici que j’ai mesuré la différence entre l’homme et la femme : pour aller au but, la femme emprunte une ligne courbe et brisée, tandis que l’homme prend toujours la ligne droite. Sauf votre honneur, je dirais, un homme, un vrai ne se tord pas le c… pour chier droit. La femme, quand elle se sent désirée, par instinct elle résiste, elle suspense, elle fait languir. Avant, c’est l’homme qui attend, la femme joue à la toupie. Après, c’est la femme qui attend, l’homme assouvi dort.

*                                     *

 

 

– Noah voici ma bague de mariage. Je ne l’ôte que pour te la mettre. Au nom de notre immortel amour, au grand jamais de la vie, m’entends-tu, ne l’enlève sinon que pour me la remettre…

– Promesse pour promesse, promets-moi quelque chose Essima la belle:

– Prononce seulement mon amour, et ta volonté sera faite.

– Jure-moi sur « aujourd’hui et demain »: Qu’aujourd’hui ce ne sera pas « 2 fois par nuit » et demain « 2 fois par an »; aujourd’hui, « tu m’essouffles » et demain, « tu m’étouffes »; aujourd’hui « ne t’arrête pas » et demain « ne commence pas »; aujourd’hui « Saturday night fever » et demain «Saturday night football »; aujourd’hui « être à tes côtés » et demain «reste de ton côté»; aujourd’hui «comment j’ai pu vivre sans toi » et demain « je perds mon temps avec toi»; aujourd’hui « hier soir c’était sur le canapé » et demain « hier soir j’ai dormi sur le canapé » dis, promets-le!

– Je te promets sur ma bague que je ferai tous les demains meilleurs que la veille… Non, Noah non… pas ce soir. Je me sens très fatiguée, et puis le pacte que nous venons de sceller ne doit être souillé. Au petit matin, Noah. Au petit matin peut-être.

– Essima mon amour, comment puis-je avoir 32 dents et dormir affamé?

– Je n’ai pas moins ton désir, mon bébé. J’en ai même ardemment envie. Mais le pacte que nous venons de sceller interdit l’autre chose à l’immédiat. Il faut d’abord laisser la maçonnerie prendre.

– Essima, je ne peux devenir herbivore alors que j’ai 32 dents!

– De ton bras gauche fais-moi un coussin, caresse-moi les cheveux et dormons, demain je serai peut-être loin de toi. Je t’aime, toi mon amour. Sur ce, Essima poussa un ronflement de dissuasion massive, du genre qui amadoue les couleuvres les plus effrontées.

S’il survient un problème dans la nuit, la sagesse recommande d’attendre le matin. Alors on y verra plus clair. Mais si tu es fâché, dans ta colère verse un kilogramme de riz sur le sol. Le temps de ramasser tous les grains, ta colère est partie. D’ailleurs,

*                                 *

 

– Le Patient: j’ai tout tenté, je suis à bout. Voilà où nous en sommes.

– Le psy: Avez-vous exhibé vos muscles ?

– Le patient: Schwarzenegger n’aurait pas pu faire mieux.

– Le psy: Depuis le début, elle n’a pas vraiment fait signe de refus ?

– Le patient: Non, au contraire, c’est elle qui a allumé le feu. Sinon, moi seul, j’aurais laissé couler le fleuve.

– Le psy: L’avez-vous félicitée pour sa coiffure ?

– Le patient: Elle porte en permanence un foulard.

– Le psy: Ce n’est pas une raison, la vérité est comme les statistiques, elles prouvent toujours ce qu’on veut et non ce qu’on voit.

– Le patient: Mais qu’ai-je donc fait de mal? Je suis à bout

– Le psy: Le Pr. Dr. Abinamba dit dans ses recherches sur la psychologie féminine que l’ombre te fuit quand tu la poursuis. Si tu la fuis, elle te poursuit.

– Le patient: Et si cette femme…hummm. Est-ce qu’elle ne serait pas…

– Le psy: Non, cela ne peut être possible. C’est un réceptacle qui a aussi la propriété de recevoir sans donner.

– Le patient: Pourvu qu’elle ne me fasse pas la politique.

– Le psy: Non, non là c’est votre imagination qui vagabonde. Quand vous voulez, elle ne peut pas; quand vous pouvez, elle ne veut pas ou alors, quand vous ne voulez pas, elle peut; quand vous ne pouvez pas, elle veut. Il faut savoir vouloir et pouvoir quand elle veut et pouvoir savoir quand elle peut. Tout l’art est d’être prêt sans en avoir l’air. Le Pr. Dr. Abinamba affirme que dans certaines traditions, la femme est tenue pour dévergondée, qui dit «Oui»

– Le patient: A quoi faudrait-il donc se fier si « Non » ne signifie pas refus et si oui signifie je ne sais plus quoi.

– Le psy: Il faut savoir laisser le temps au temps. D’ailleurs, les gens sont différents: il y a les minuiturnes, il y a en a qui aiment travailler pendant la journée, il y a les vespéraux, il y a les 10 heures, on a même connu un digital!

– Le patient: Vous croyez qu’elle elle serait une très tôt matinale ?

– Le psy: On ne peut quand même pas manger la viande qui se trouve dans la sauce et laisser la sauce! Patience, patience, patience. Si le gibier qu’on a tué aujourd’hui se décompose, c’est qu’il était pourri avant sa mort. La vérité se trouve dans le chiffre du prix, ce sont les zéros derrière qui l’alourdissent. D’ailleurs il n’y a rien de mal à débuter la journée par un exercice d’éveil du corps. Dormez bien.

– Le patient: J’essaierai.

Dormez bien! Ha! Quelle blague! Comment un homme peut-il dormir avec un pied levé? Aucune position couchée n’est confortable quand un homme a une bosse dans la culotte.

*                                      *

 

 

En vérité en vérité je te le dis, cher écoutant, l’eusses-tu cru ? C’est l’esprit qui réchauffe le corps. L’esprit d’Essima avait soulagé son corps de sa présence: elle avait abandonné sa carapace-là, sans mettre le clignotant à gauche. Non contente de se mettre hors-jeu dans sa propre surface de réparation, non seulement elle venait de lober son propre gardien, Essima avait donné le coup de sifflet final. Elle avait été. Elle fut ! (Chante Mawa ndé’kò, une complainte d’adieu à l’être aimé. Tentant de consoler Noah) Ne pleure pas Noah. Un homme mûr ne pleure jamais. Les larmes nées des grandes douleurs ne mouillent de l’homme mûr que le fond du cœur. La panthère a ses taches au dehors, l’homme a les siennes en dedans.

Les aiguilles du temps se livrèrent avec célérité une course-poursuite sur le terrain du calendrier. Petit à petit, le temps étendit son voile d’oubli sur le pacte de Noah, suturant en même temps le souvenir d’Essima. Lavez la panthère à l’aide de n’importe quel savon, immergez-la aussi longtemps que vous pouvez, elle sera toujours aussi tachée !

Vous ai-je même révélé que le palmier qui se trouve au milieu du bosquet qui sépare deux concessions est la propriété de Noah?… Non ? Si j’ai omis de vous le dire, c’est parce que cet arbre donne à Noah du vin de palme matin midi et soir 7 jours sur sept et douze mois sur douze. Et d’un goût qui fait l’unanimité de toutes les papilles gustatives dans la bouche d’un connaisseur : exquis ! C’est pour cette prodigalité et cette saveur que Noah avait baptisé ce palmier « Nlo yobo afidi nnam, i mòn osso a ne te vè’hi tò mben i nò tò viàn wa pa bissep bi sóg bi lor’gi ». (La tête du ciel espoir du peuple le petit ruisseau qui ne tarit jamais vienne la pluie vienne la sécheresse les saisons viennent et s’en vont) Ce palmier est tellement grand que lorsque Noah y est juché, l’on a l’impression qu’il cueille du vin de palme du ciel. D’ailleurs, quand les nuages sont fatigués de jouer à cache-cache avec le soleil, c’est sur les branches de nlo yobo afidi nnam qu’ils viennent se reposer. A chaque cueillette Noah récolte 4 verres de vin : un nectar !

*                                   *

 

– Noah Bella Nanga, le vin de palme que j’ai gardé pour toi devient aigre.

– Jette-le.

– Noah Bella Nanga le repas que j’ai apprêté pour toi refroidit

– Réchauffe-le

– Noah Bella Nanga, ton dessert devient rance!

– Jette-le

– Noah Bella Nanga je ne parviens plus à l’endormir

– Compte de 9.999 à 7.777

– Noah Bella Nanga ma couche refroidit.

– Allume un feu de  bois.

– Noah Bella Nanga regarde ta main

– Je peux te la lancer, si tu la veux ta bague

– Noah Bella Nanga, si tu avais coutume d’attraper des mouches au vol, je crains que cette fois-ci tu aies refermé ta main sur une abeille. Je ne fais que demander : as-tu oublié notre pacte?

– Nous avons conclu quoi?

– Noah Bella Nanga, fils de Nga Zogo beau comme un gorille, si c’est une plaisanterie, elle est bien amère. Te souviens-tu:

L’homme peut mourir

L’amour demeure

La femme peut mourir

L’amour demeure

Si l’amour meurt

C’est qu’il était un mentir

– Bon! Si deux personnes se disputent 100 euro, c’est qu’il y en a une qui veut en prendre 51. Et puis, un cadavre n’a pas peur du cercueil. Dans trois jours, Essima. Dans trois jours, j’entrerai dans ta demeure. Indique-moi simplement le chemin pour y venir.

– Dès que tu arrives chez toi, Noah dès que tu as fait le rituel de la face du chien, Noah va chercher une motte de terre de l’endroit où Noah ton cordon ombilical fut enterré. Noah tu reviens ici. Noah Bella tiens-toi exactement à l’endroit où le palmier aura jeté son ombre sur la route. Noah Bella Nanga lance alors la motte de terre en direction du palmier: un chemin s’ouvrira devant toi: Noah il mène chez moi. Noah Bella n’oublie surtout pas de me ramener la bague que je t’ai donnée. Noah Bella Nanga je ne refuserais pas non plus ton divin vin de palme.

 

Dans un sourire plus radieux que coquin, Essima s’évapora comme un tapis de nuages. Noah s’ébroua, suspendu subitement entre ciel et terre, se pinça, regarda la terre, interrogea le ciel d’une lèvre muette et finit de recueillir ses 4 verres de vin de palme. Jamais le sol ne lui avait paru si éloigné. En entrant dans la maison de sa mère, il trouva celle-ci qui s’essoufflait à ranimer un feu produisant plus de fumée que d’étincelle. Tel que Noah observe sa mère sans ciller, il est clair que sa tête semble éternellement emprisonnée dans une interrogation existentielle. La bouche de Noah est en forme de “Excusez-moi-je-vous-en-prie-s‘il-vous-plaît-pardon-est-ce-que-trois-points-de-suspension-sans-hop-là”. La pauvre femme n’en pouvant plus de se voir ainsi détaillée, demanda à Noah ce qui taraudait sa petite tête.

*                                *

 

 

– Je te souhaite la bienvenue, O Noah, beau comme un gorille, fils de Bella Nanga, toi mon amour, mon amant. As-tu ma bague ?

– La voici.

– Prends place et mange. Voici du couscous. Tu le manges tout seul, et attention: ici on ne laisse pas de restes.

Noah ria et se mit à manger. Essima voulait-elle se moquer de lui? Où est même le couscous-là? Une si petit boule de couscous capable à peine de remplir la main d’un nouveau-né! Il en faudrait beaucoup plus pour le rassasier avant de songer éventuellement à laisser des restes! (L’imaginer mangeant avec les doigts; puis la 2ème gorgée raclant le plat, comme d’une dernière bouchée). Voici que l’étrange a lieu: au moment où Noah conduit la main finale à la bouche, Essima se tourne sur elle-même, et dos à Noah sarcle le sol de ses deux pieds et la calebasse se remplit de nouveau de couscous plus appétissant encore. Ce manège se reproduit interminablement. Quand on a faim, l’appétit dit-on, vient en mangeant. Mais lorsque manger devient une besogne, l’appétit s’en va en pleurant. Noah est au bord de la suralimentation. Il a presque entièrement écrit mentalement sa lettre de démission lorsqu’une idée lui traverse la tête :

– Essima mon amour, je t’ai moi aussi gardé du vin de palme.

Quand ils eurent fini de boire, il n’y avait plus de couscous dans le plat. Alors on passa aux choses sérieusement concrètes. (Le conteur/conteuse se dirige vers  le rebord de la scène. Changement de lumières)

Mes chers écouteurs, mes chères écouteuses, je n’aurais pas assez de nuits à venir vous raconter la suite de cette histoire. Les faits sont faibles en narration. De ma jeunesse, j’ai appris qu’un  exemple vivant vaut bien mille récits. Hélas, si mon cœur y est toujours, mon corps a mis son clignotant à gauche. Quand je regarde ma montre, voici que l’ombre du palmier s’est diluée dans l’obscurité de la nuit. Elle s’est graduellement incorporée dans le palmier. C’est toujours ainsi sous toutes les latitudes, les enfants se blottissent dans les bras maternels quand le dormir se met à taquiner leurs paupières.

Ce que Noah fit à Essima, même Sedar Senghor (ou auteur régional très célèbre. Une pluie de confettis déferle comme des flocons de neige sur la scène ) n’aurait pas pu le conjuguer au présent de l’indicatif: Imaginez: Noah portait un caleçon à 7 poches et il y avait 7 draps sur le lit, ils furent tous dévastés; il y avait 7 oreillers sur le lit, chacun fut transformé en cerf-volant; il y avait 7 serviettes de 7 couleurs sur le chevet du lit, leurs couleurs se diluèrent dans le Tsunami orgasmique; le jardin d’Essima avait 7 brins d’herbes, Noah-la-tronçonneuse les tondit tous, alors vous comprendrez le sort des pauvres pieds du lit qui n’étaient en tout que 4 (bruit de cassure du meuble et mime d’1e danse érotique, bruitages érotiques). Alors, Essima atteignant le déluge cria de toutes ses forces: Bella Nanga, ton fils est un homme, un vrai.

*                                    *

 

Voilà! Ce qui devait arriver entre Essima et Noah arriva entre Noah et Essima! Un bébé! Et je vous le dis tout de suite, d’une beauté à faire pâlir les étoiles du ciel, une beauté à faire se disputer les jeunes hommes toute la nuit autour de la case de son père, une beauté de fée. Mais hélas, cette belle enfant pleurait, pleurait, pleurait sans remède, à tarir tout le répertoire des berceuses. Une enfant qui est belle, c’est admirable et même merveilleux. Une enfant belle et qui pleure, cela est compréhensible et tolérable. Mais une enfant belle qui est inconsolable, cela finit par rendre irascible et même amer. Ses parents avaient beau la retourner de tous les côtés, la palper, l’ausculter, rien! Aucun indice apparent de la source des douleurs de l’enfant. Noah Bella Nanga montait descendait avec l’enfant, tantôt sur l’épaule, tantôt en position de berceau: aucun apaisement. On dirait même que le changement de position attisait davantage les pleurs de la belle enfant. L’homme commençait à désespérer lorsqu’il s’aperçut que la main gauche de l’enfant était fermée. La source des larmes était sans doute découverte. Il l’ouvrit pour y découvrir un parchemin dans lequel était gravée une question: papa qu’est-ce que la femme?

– Ma fille adorée, sèche tes larmes. Je te mentirais si je te donnais la définition d’un article indéfini dont le mode de pensée et les actes échappent à son propre arbitre. Tu es une femme toi aussi. Certainement tu auras plus de chance qu’un homme. Va, va poser la question à ta mère. (le bébé rampe jusqu’à sa maman)

– Maman, papa me charge de te poser la question qu’est-ce que c’est qu’une femme ?

– Ce que c’est qu’une femme serait fastidieux à définir. Tu le sauras au fur et à mesure que tu grandiras. Mais pour assouvir un tant soi peu ta soif, je te le résume : une femme n’est pas comme un homme, la femme c’est la femme. Et maintenant, va demander à ton père ce que c’est qu’un homme.

 

 

Ekang bisso bisso élang élang ééé

éé éééé éé

ma dzo nékang bisso bisso élang éland ééé

éé éééé éé

bi man ya sòòò a mot ékang éé

éé éééé éé

aahaan aahaan melò me bààà

me bààà fò

ékang mboloo

essa ngom

ma dzo nékang mbolo

essa ngom

ékang mboloo

essa ngom

essa ngom aa ba betoaa

ayaaaa aaaaaaaaaaaaaa

(S’emparant d’une calebasse de vin)

Buvons ! Je bois à votre santé, c’est tout le malheur que je vous souhaite

Nectar du ciel, nectar des arbres, nectar des plantes et des insectes qui butinent

Béni soit celui qui t’a découvert et m’a fait don de tes délices sanctus sanctus

Ne me monte pas dans la tête, éparpille dans mon ventre les chaleurs de la vie.

Je bois tu bois il boit nous buvons mais ce que je bois n’est pas de l’eau amen.

 

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