Felix Kama Webseite

Aujourd'hui plus qu'hier, il y a des Noirs dans le monde entier: Noirs Américains, Noirs Européens, Noirs Asiatiques, Noirs Africains, brefs Noirs noirs et Noirs mélangés. Que veut dire aujourd'hui être Africain? Ta langue quotidienne n'est plus africaine; ta religion n'est plus celle de tes ancêtres; ton économie n'est plus celle du troc; ton droit n'est plus le droit d'aînesse; veste et cravate sont tes vêtements de parade; tu ne manges plus le manioc; ta peau est violemment maquillée, tes cheveux ou perruques lisses et ton ciel n'a plus de clairs de lune cadencés de danses autour du feu; tes contes sont les aventures des films occidentaux. Qu'est-ce qu'être Africain de nos jours? Une race en voie d’extinction? F.Kama

Dis donc, venez me voir le famla – Appels du pays de Félix Kama (FR)

Avant la levée du rideau, on entend un camion de ramassage d’ordures qui manoeuvre. Bruits de benne, bruits de pelle chargeuse de poubelle. Le rideau s’ouvre. Le musicien Douleur chante «travailleur immigré» En toile de fond, l’arrière d’un camion de voirie municipale dans une rue quelque part en ccident. Un homme d’un certain âge, en tenue d’éboueur ou de voirie municipale. Ce vêtement est muni de multiples poches dans lesquels se trouvent plusieurs téléphones portables. Il balaie les ordures qui jonchent le sol, les jette d’abord dans un bac à ordures. son téléphone portable sonne. Le ton monte lentement avec son interlocutrice.  2 minutes durant d’une dispute en une langue camerounaise (à écrire par le comédien). Le dialogue est truffé de mots en français. la scène est recouverte d’ordures et le camion ronfle en attente. On entendra de temps en temps le lourd klaxon d’impatience du chauffeur du camion.

 

Mais ma chérie, essaie de me comprendre, … oui mais je ne peux tout de même pas abandonner le travail pour venir… non, mais tu aurais pu m’informer de ta décision ce matin avant mon dép… mais non, qu’est-ce que tu vas inventer là? si ce n’est qu’à cause d’un petit problème comme celui-là… mais non, je te dis que nous sommes déjà presqu’à la fin du mois… pardon? mais tu sais très bien que je n’ai pas pu te l’offrir le mois dern… non, ce n’est pas ce que j’ai dit… et moi tu crois que c’est moi qui ai dit à ton cousin de mourir?… ma chérie, je t’ai dit qu’en ce moment où je te parle, je suis en plein boulot… Je te jure que si tu mets ton pied ici… d’abord tu ne sais pas dans quel quartier nous travaillons en ce moment… non non tu sais après les fêtes… Ah ça je sais, n’empêche que c’est chaque week-end que les gens meurent dans ce pays-là, ce n’est même plus une hécatombe: c’est un mourodrome. Je n’en peux plus… oui, mais celui d’il y a trois semaines était un parent; ton cousin d’il y a 2 semaines était un  proche parent; celui de la semaine passée était un très proche parent et celui de cette semaine un très très proche parent. Je me demande à quelle distance sera le mort de la semaine prochaine… je me fiche qu’il soit mort: c’est toi peut-être qui vas me rembourser l’argent du véhicule que je lui ai envoyé pour faire le taxi? Allô… Attends, je te rappelle tout de suite, je crois qu’il y a quelqu’un qui essaie de m’appeler, s’il te plaît ne raccroche pas..

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… MAIS NON JE NE CRIE PAS!! j’ai quand-même le droit de crier si je veux non! …Maman, depuis 1 an et demi que je suis ici, j’ai déjà remboursé entièrement l’argent que tu avais emprunté dans la tontine pour ma caution… (dépose le téléphone portable par terre pour énumérer) Tes 3 cotisations hebdomadaire, mensuelle et annuelle, c’est toujours moi qui paye! La scolarité de mes neveux et nièces, c’est moi. Les les mariages, les baptêmes, les 1ères, 2èmes et 3èmes communions, les anniversaires, les maladies et les enterrements, c’est toujours moi. Les inondations, c’est moi. La rude sécheresse aussi. Les habits de Noël, la nourriture des fêtes, c’est également moi. Les contributions pour le comité de développement du village, encore et toujours moi. Je jobbe ici jour et nuit, j’ai tellement travaillé dans le noir, maman… maman (reprend le téléphone portable) tu sais à quoi ressemble un Noir qui travaille au noir? C’est un zombie! Vous m’assassinez, et je n’ai même pas le droit de crier!… les gens du village, les gens du village maman tu sais quoi, va leur dire que je les emmerde… oui emmerde avec 2 m, … et si tu veux, ajoute-leur même ENT majuscule à la fin comme cadeau ! hein!… maman, j’ai déjà tendu mes deux joues, je n’en ai pas quatre à ce que je sache… ou alors je dois tendre aussi ma paire de fesses? Quoi!

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C’est moi, c’est moi, « Moi » c’est le nom de quelqu’un?…Ah Angéline, c’est toi! …Excuse-moi, quand tu fais ta voix comme si Paris a atterri à Yaoundé, moi je suis parfois perdu… Non, je ne t’ai pas oubliée… Toi aussi, à chacune de nos conversations, c’est la bagarre… non, je ne peux pas te rappeler… éii, je ne t’avais pas dit que je voyagerais?… En ce moment où tu m’appelles là là là, je ne suis pas en Allemagne… Non, on m’a envoyé en mission à Doubaï… je rentre peut-être dans trois semaines… Oui, c’est l’hiver, il fait très froid ici en ce moment… Aha! Heureusement qu’on vous montre la neige-là à la télé, tu n’allais pas me croire… Èkié, le désert c’est vers le Nord, nous on est du côté de la capitale, vers Singapour… Je ne sais pas si on va aller du côté où on vend les bijoux en or, c’est vers Vladivostock. Tu connais? … En tout cas, je vais te garder… Bon, on va mieux causer à mon retour en Allemagne…

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Elle est malade, c’est moi qui la soigne; si elle meurt, c’est moi qui vais l’enterrer. A ton avis, maman, qu’est-ce qui est mieux?… bon, le mille-pattes-là n’a qu’à tomber dans la marmite d’huile bouillante. Passe-moi pépé… bonjour pépé… oui ça va…Tu as vu les remèdes que je t’ai envoyés pour tes rhumatismes… de rien pépé, mais c’est très très dur ici, vraiment… pépé, c’est surtout le froid-là … Il fait un froid à congéler même les couilles d’un éléphant… oui c’est vrai qu’il n’y a pas d’éléphants ici, mais on en voit quand même dans les zoos … Ekiéé! Pépé, je crois que tu as encore picolé ton odontol… non mais ça sent jusqu’ici… pépé, j’ai un téléphone de prochaine génération… c’est à dire qu’il comporte un renifleur branché sur google earth… non, c’est trop compliqué pour t’expliquer… d’accord, je vais t’en garder un quand je viendrai en vacances… mais dis-moi pépé, toi tu as déjà vu les couilles d’une baleine où?..

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Bon, je vais te faire un pti‘ dessin: une fille noire, célibataire,  arrivée il y a 6 mois en Suisse, et qui rentre construire un hotel 4 étoiles au pays, en roulant dans une 4×4 prado V6, et qui vient tous les 3 mois au pays pour passer 2 mois de vacances, pépé, celle-là gagne son pain à une autre sueur… je ne sais pas pépé, en tout cas pas celle de son front… Pépé, si je te dis comme ça, comprends seulement. Est-ce qu’un homme est une femme?… Pépé, même à armes égales avec un homme, la femme, elle possède en plus ses larmes!

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Passe-moi Ngoglikeng s’il est à côté de toi… (coup de klaxon du chauffeur) attends un peu pépé, ne raccroche pas.. (il renverse le bac à ordures et l’emmène vide en direction de la cabine du camion de ramassage) Hé collègue, tu sais c’était la fête hier, y a un malpropre qui a renversé tout le bac à ordures sur le sol… oui bien sûr je me grouille (et reprend le nettoyage) Tu es toujours-là pépé?… quoi, il dort encore? il est quelle heure là-bas… et il dort jusqu’à 13 heures!!!… aha! il fait des massages à sa femme qui a mal au dos, tant mieux pour eux… ça va, ça va, passe-le moi. Allô, pépé me dit que tu dors encore… elle a quoi? … Et c’est depuis quand?… Depuis 3 jours, elle vomit et tu ne l’emmènes pas à l’hôpital?… Comment ça les routes sont barrées?… Il est parti depuis quand?… Et depuis 3 jours qu’il a quitté le pays, les routes sont barrées!!!… Donc, en partant, il emporte les clés de toutes les routes…Parce que le communiqué a dit « court séjour »? … Bon, as-tu été rencontrer ton type, heu le planton du DG?… Il dit que le DG demande combien?… Il te donne quelle garantie si  on ne te recrute pas? … Oui oui, ils ont tous la même explication de même que les marabouts: ce n’est jamais eux-mêmes qui prennent l’argent, et par hasard, c’est toujours l’occasion de la dernière chance… Oui, comme d’habitude, si ce n’était même pas toi, si ce n’était même pas toi… Tu oublies que tu m’as donné les mêmes certitudes pour l’Enam, l’Emia et l’École de police… De toutes les façons, je t’ai dit que c’est la quatrième et dernière fois que je m’engage. Comment se porte mon homonyme?… bon, est-ce que tu as reçu les cent milles francs que je t’ai expédiés il y a deux semaines?… aha, et il faut que moi je te rappelle pour que tu confirmes la réception… Dis-moi, est-ce que dire merci écorche la bouche d’un camerounais, hein?…Tu allais m’appeler quand? cela fait deux semaines que tu as perçu cet argent, il te faut combien de mois … oui, mais avant que je t’envoie cet argent, tu me harcelais tous les jours, là tu avais du temps… ah bon, tu n’as pas de crédit pour m’appeler et dire merci, mais quand tu voulais cet argent, là tu avais du crédit dans ton téléphone pour me biper 61 fois par heure… ah bon? l’argent que je t’ai envoyé était insuffisant!!!… regardez-moi la malchance! (au public) voilà quelqu’un, il va engrosser des filles et il compte sur moi pour le trousseau, (à Ngoglikeng) je dis hein! parce que tout le temps que tu étais étendu sur elle, c’est moi qui jouissais?…

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Allo! ah! chef chantier, c’est toi! (à part soi) Vous savez, sur les architectes, les ingénieurs en bâtiments, j’en connaîs un rayon. Ils ont 2 qualités: ne jamais faire des devis de construction justes, et ne jamais livrer un marché dans les délais. Mais ceux de chez moi, on dirait qu’ils subissent une formation complémentaire: pendant qu’ici, on minore les prix et les dépenses pour encourager le maître d’ouvrage à engager les travaux, ceux de chez nous majorent au triple, voire au quintuple les coûts. Et pour couronner le tout, ils viennent encore à la fin vous exiger un cadeau, en soulignant qu’ils n’ont absolument rien gagné sur ce marché. Mais, comme moi je ne suis pas bête du tout, j’ai confié la gestion de mon chantier à mon petit frère Ngoglikeng. Ah oui! En lui, je fais totalement confiance: même le fou le plus fou ne peut pas écraser ses propres testicules avec la pierre!  (reprenant le téléphone) bonjour chef chantier… Non, la vie nous mange seulement ici… Mais je croyais qu’on a volé ton téléphone portable… Non, parce que je reconnais ton ancien numéro dont tu m’avais signalé la perte… Ah bon! le voleur qui avait volé le téléphone que toi-même tu avais trouvé est venu te remettre ton téléphone!! … ah bè dis donc! Les grandes ambitions rencontrent des grandes réalisations…

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Est-ce que tu as déjà terminé de poser la toiture?… chef chantier, tu blagues ou quoi? comment ça vous faites encore le terrassement pour la fondation?… Tu es tout à fait sûr que c’est de mon chantier qu’il s’agit?… Attends, attends: c’est bien de mon chantier de la mini cité à Ndokoti dont tu parles?… (riant) et par quel miracle de l’art architectural vous avez procédé pour élever des murs et poser 2 dalles d’une mini cité en étages, sans avoir fait des fondations au préalable?… écoutez M. le chef chantier, trèves de camerounaiseries! dites-moi, sur votre calendrier, nous sommes quel mois aujourd’hui?… Et quel jour sommes-nous?… Non, c’est que j’ai l’impression que votre horloge semble s’être bloqué au 1er avril …  Vous avez peut-être l’humeur à blaguer aujourd’hui, mais moi pas du tout, mais alors vraiment pas du tout… comment ça vous ne blaguez pas? J’ai des photos et même une vidéo de l’ouvrage! là! là devant moi (il déroule des photos d’un imposant building en construction) Faites attention à ce que vous dites M. heu heu chef machin, tu dis que tu n’as pas aperçu mon petit-frère depuis 2 mois?!!!  éi! se pourrait-il que ce qu’on dit souvent des camerounais-là commence déjà aussi à m’arriver? (Il essaie de téléphoner à son petit frère, mais on entend en voix off « le numéro que vous appelez n’est pas disponible pour le moment. Veuillez rappeler ultérieurement » Il essaie une 2nde fois, même réponse)... Jusqu’à 128! Vrai de Dieu! (Il pleure) S’il s’agissait de 128 Dollars, je lui en ferais cadeau! Même 128 euro, je laisserais tomber! 128 Francs suisses, je peux dire haa!

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(Il pleure pendant longtemps en psalmodiant dans sa langue maternelle. Il sort un à un ses multiples téléphones portables et les dépose par terre. Après quoi, il se déshabille lentement, méticuleusement, plie soigneusement ses accoutrements en les rangeant dans le bac à ordures. il ne lui reste en tout et pour tout qu’un gros short de couleur vert rouge et jaune avec une grosse étoile jaune sur le rouge par devant. Le dit short est nanti de poches) Ce short est un souvenir de mon père. C’est tout ce qu’il a pu m’offrir quand je prenais l’avion. C’est notre voisin tailleur « chez Papa ciseaux d’or » qui l’a façonné. Je crois bien que papa ne lui avait pas révélé que le short serait à moi, sinon il ne l’aurait pas fait en taille XXXL…Peut-être aussi que mon père voyait déjà les millions que je travaillerais…  En me le remettant à deux clos dans sa chambre, dans cette poche, il y avait glissé son dernier billet de 500 francs cfa. Il m’avait dit: mon fils, ne t’amuse pas avec l’argent du Blanc! affair nkáp ba affair très sérieux. Tu travailles ton 5 francs, attache lu dans tes testicules. Voici les poches où je gardais tout mon argent: (il retourne les poches vides du short) 1, 2, 3…  128 millions de francs cfa d’insomnies, 128 millions de francs de sang, 128 millions de francs de sueur sous les pluies, sous les grimaces racistes et sous les neiges. Famille! Famille oooo! Famille! La famille m’est tué! Famille! Famille oooo! Famille! La famille m’est tué! (Il entre dans le bac à ordures) Famille! Famille oooo! Famille! Tu m’es tué (Il referme le bac à ordures sur lui. Le chauffeur du camion, un homme de race blanche descend du véhicule en pestant contre les Noirs paresseux et menteurs. Il pousse le bac à ordures en direction du containeur du camion pendant que le rideau tombe. Puis, on entend la poubelle qui se déverse dans le containeur et le bac à ordures vidé que le chauffeur jette à terre. Puis le camion poubelle repart jusqu’à extinction du moteur)

 

 

 

 

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