Il vaut mieux pleurer quand l’enfant naît, afin de fêter quand on quitte la vie. Qui n’a jamais dit à son enfant « apporte-moi de l’eau à boire » Et quand l’enfant va chercher de l’eau, vous l’apporte, seriez-vous fâché contre lui ou contre celui qui donne à votre enfant un contre ordre? On se sent tellement à l’aise ici que personne ne songe à retourner sur la terre. Si ici était aussi terrible que vous l’imaginez là-bas, beaucoup de ceux qui y sont allés auraient pris un ticket aller-retour.
Pour commencer, mon nom de famille est Seits et je me prénomme Jen. Mais mon père m’a donné un nom secret: A mulí. Mon nom vient de ce que j’ai refusé tout simplement de naître pour rester là-bas. J’ai un frère siamois. Son prénom est Dies et il porte le même nom que moi. A lui aussi, papa a donné un nom secret: Amú Mot Binam. Petits, nous jouions souvent à cache-cache. Je courais me cacher parmi les lianes dans le ventre de notre maman, sous le rocher de son cœur, à l’abri de son estomac, à l’ombre de son appendicite, je grimpais sur l’échelle de sa colonne vertébrale.
Mon frère lui, adorait se cacher sous les trains en transit, dans le gros intestin. Parfois, il s’amusait à s’agripper sur les wagons de victuailles qui défilaient par-là. Je ne sais pas le nombre de fois qu’il a risqué d’être expulsé du ventre de notre maman en jouant à ce jeu. Notre père lui disait souvent: « toi cet enfant, tu ressembles à un aventurier. On ne dessine pas le diable sur le mur de sa maison. Ne t’accroche pas sur les wagons quand tu sens ta maman concentrée et accroupie ». Mais que peuvent comprendre les enfants des paroles des adultes? Nous étions inséparables. Quand on le voyait, on était sûr que je n’étais pas loin. Quand on me voyait, on pouvait affirmer qu’il était là. Lui, c’était comme moi et moi, j’étais comme lui. Disons qu’il était mon ombre et moi j’étais sa silhouette. Ah c’était la belle époque. Il faut dire que là où nous nous trouvions, nous ne manquions de rien. Quand je vois les images et quand je lis les livres des hommes, je me dis que c’était cela le paradis. A quoi bon aller voir ailleurs? Hélas, on est comme on naît et quand bien même on peut changer sa nationalité, il est impossible de changer sa race. Voilà pourquoi j’ai conservé ma nationalité immortelle.
Un jour, l’équipe nationale australienne fit une halte à la gare de chez nous. Ce n’était pas des joueurs de rugby, leur sport était plutôt le tir à la corde, le bon vieux tir à la corde. Mais, ils pratiquaient ce sport de manière bien étrange: à l’aide de scalpels, marteaux, coton, ciseaux, speculum, tenaculum, séringues et fils! Quel est ce sport bizarre que l’on pratique avec des sandales blanches, une chasuble verte et où les joueurs portent une musélière? Je dis à mon frère, „mon frère, dis-je, faisons gaffe, ce sont peut-être des martiens ou alors des chiens de combat déguisés“. Mais mon frère se laissa fasciner par leurs instruments, se laissa scalper et enfin se laissa se séparer d’avec moi. Et l’enfant terrible s’en alla à travers le vaste monde (…)
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D’abord, je lui avais envoyé plusieurs fois des sms pour lui annoncer ma venue. Un de ses camarades médecin informaticien et japonais lui avait appris l’art d’effacer les sms. Sans réaction de sa part, je me décidai donc à le rencontrer pour lui fixer un rendez-vous. L’urgence du message m’empêche ce matin-là de prendre mon petit déjeuner. J’arrive chez lui, je frappe à la porte. Il me voit et enclenche une course de vitesse digne d’une finale de 100 m aux jeux olympiques. J’ai failli trois fois étouffer de la seule poussière qu’il soulevait par sa fuite (…)
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Tout le long de notre course, mon frère avait tous les spectateurs pour lui, les photographes, les cameramen, les juristes, les médecins, les physiothérapeutes, les secouristes, les voyants, les chercheurs, les gilets pare-balles, les gilets de sauvetage, les protège-tibias, les pompiers, ses parents, ses amis, les Blancs, les Noirs, les métis, les Jaunes, les assurances-maladie, les assurances-vie, les assurances vieillesse, même les assurances tous risques, on dirait que tous étaient unis contre moi ! Même les aveugles ! Chers lecteurs, est-ce que je peux vous faire une confidence? … Je suis sûr qu’en ce moment, même mon patron se trouvait dans le camp de mon frère. Je soupçonne même nos parents… Une telle énergie criminelle, je n’ai jamais rencontré une telle haine entre deux frères utérins.
Le plus dur, c’est que j’avais faim et soif, mais alors soif et faim. J’étais heureux quand une goutte de ma sueur, au lieu de tomber par terre dégoulinait dans ma bouche, comme une larme. J’aurais bu la ciguë comme un de vos philosophes, j’aurais dans ces durs moments, envié la place de celui à qui on avait donné du vinaigre imbibé dans une éponge. Je craignais d’être bientôt à sec, en panne de carburant. J’éprouvais des crampes d’estomac, des crampes de gorge, des crampes d’oreilles, je pressentais même déjà des crampes de cheveux! Je crois que c’est à force de courir vite ce jour-là que j’ai attrapé ma calvitie. Et tout le monde d’encourager Mot Binam :
– Mot Binam, vas-y, l’essentiel n’est pas de participer, vas-y Mot Binam, toujours plus fort, toujours plus haut, toujours plus vite!
Je n’en pouvais plus de tenir, seul au monde contre la haine de tout le monde. Un soir du 9ème mois depuis le début de la course-poursuite, je cotisais toutes mes dernières forces pour lui crier que je renonçais à lui délivrer mon message lorsque soudain, je n’aperçois plus de poussière du tout. Du plus loin que je peux voir à l’horizon, plus de nuage de poussière! Miracle. Mot binam a disparu. On dirait que la terre l’a avalé! Comment le déterrer? Je ne possède ni pelle, ni pic. Je ne lui ai pas vu des ailes et il n’y a pas de rivière dans laquelle il se serait jeté. Alors, c’est sûr qu’il s’est caché dans la forêt. Comment vais-je le repérer? J’aurais dû emmener mon chien de chasse avec moi. Je fouille ma sacoche de sortilèges et je lance des maux de tête dans sa direction. Mot binam ne réagit pas. Je lui lance des maux de ventre, sans succès. Je lui lance un petit cancer, rien. J’essaie la peste, sans succès. Je lance la grippe porcine, rien. Le vaccin de la grippe porcine, aucune réaction du fugitif. Alors, je prends de la poudre de piment, que je mélange avec du petit oignon rouge découpé et je souffle dans l’air. Subitement, j’entends a…aaaaatchouuum! A…aaatchoummmm! Et moi-même aussi je réponds a aaaatchouuuum! Mais mon frère, tu me déçois énormément. Ton séjour ici t’a-t-il si traumatisé au point de fuir l’éléphant au seul bruit? Caïn, Caïn! Pourquoi te caches-tu? Comment ce pays des apparences a-t-il pu te corrompre au point de croire que l’homme peut se détacher de son ombre? Je suis tout de même heureux de nous voir ensemble réunis. Voici en tout cas le message que je venais te livrer quand je suis venu chez toi : c’était juste te dire que c’est à cet endroit que je devais venir te chercher dans 9 mois. Et nous-y voilà!
Félix Kama
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