Le Camerounais est-il foncièrement violent ?
D’emblée une question : le tapage diurne et les nuisances sonores nocturnes peuvent-ils être combattus au Cameroun ? Il est presque naturel pour chaque citoyen de penser que son pays est quelque chose de singulier dans la géographie mondiale. Le pays natal est le meilleur pays du monde, celui contre lequel on ne troquerait aucun autre pays sur la planète terre. On n’est heureux que chez soi. Toute autre destination est un exil qui, pour autant qu’il puisse sembler doré, n’empêche pas de ressentir selon les circonstances une nostalgie justifiée. Pour paraphraser un écrivain célèbre, tout exilé est un ange tombé des cieux, et qui ne rêve que d’y retourner. A ce titre, le pays natal s’apparente à ces individus tous cieux confondus, qui vivent dans la nostalgie des temps passés, d’un autrefois qui était toujours meilleur qu’aujourd’hui. Hélas, nous ne sommes que des êtres humains, et non des extraterrestres. Aussi nous pardonnera-t-on qu’ici, nous nous livrions à une peinture nostalgique d’un passé où il faisait bon vivre au Cameroun, en rapport avec l’état des lieux actuel.
Stroboscopie des lieux
Un étranger qui débarque au Cameroun est saisi dès les aéroports de la République par une atmosphère violente. Si Douala vous gifle par cette chaleur moite de dame nature et contre laquelle on ne peut rien, Yaoundé a son pendant dans le regard inquisiteur du personnel qui officie sur les lieux. Aucun sourire d’accueil par quelque hôtesse, par quelque policier et encore moins par quelque douanier, mais un regard qui inspecte les rangs des arrivants à la recherche d’un parent, d’un ami ou d’une connaissance. On peut recenser en vain le nombre de sourires perçus sur des lèvres camerounaises qu’on ferait difficilement le compte des dix doigts de la main. Déjà les camerounais sortent de l’avion comme s’ils venaient d’échapper à un crash et l’appareil serait en feu. Puis c’est la ruée vers les postes de contrôle des passeports et l’absurde contrôle des cartes sanitaires où le défaillant s’en sort en payant 5000 Frs sans reçu et sans vaccin. 5000 Frs moyennant lesquels il est autorisé à entrer distribuer sa fièvre jaune aux camerounais qui n’en avaient pas encore fini avec les plus ou moins terribles maladies locales.
La récupération des bagages est une arène de catch où avoir été bousculé par un chariot ne donne pas lieu à une affaire d’Etat, de même que ne s’en sortir qu’avec des orteils écrabouillés n’est qu’une peccadille. Bienvenue! Welcome to Cameroon!
Traverser la ville est une lourde épreuve pour les tympans: on a l’impression que toute la ville est en fête. La sonorisation à fond poussée des discothèques se la dispute avec la musique des bars dont on se demande, au vu des ouailles de Bacchus pieusement assis, comment différencie-t-on ces bars d’avec les ventes à emporter. Ce qui est sûr, s’il venait à un aveugle étranger de débarquer dans notre pays, vous transpireriez à lui expliquer la distinction à l’ouïe entre le bar, la vente à emporter, la discothèque, la buvette, la boîte de nuit et le marché central. De plus, l’extrême promiscuité entre ces lieux, les heures d’ouverture 24h/24 de ces établissements, les affluences feraient croire soit que tous les camerounais vivent jour et nuit dans les lieux de plaisance, de stupre et de luxure, soit que c’est leur lieu de travail (encore qu’effectivement, nombre de dossiers et de marchés s’y traitent, s’y passent et s’y concluent. Comme quoi, dans la fièvre de sortir du sous-développement, nous on a appris à résoudre l’utile sur les lieux de l’agréable).
La circulation routière est le lieu on eût dit d’exorcisation, de défoulement et de catharsis des démons de la violence au propre comme au figuré. Les Camerounais s’insultent démocratiquement et copieusement, c’est-à dire sans raison ni preuve. En d’autres termes, sans rancune, ni vu ni connu ! Voici un terrain où tous les camerounais sont égaux à 100 %. La route camerounaise transforme les agneaux en loups. Les gens sortent de leurs maisons comme des responsables et se métamorphosent en goujats sur la voie publique. Il y a un désir de montrer que l’autre ne vaut rien «A Mouf dé, con, salaud, ta mère pond, le sale cul de ta maman, sapak, idiot, cuon, enlève ta brouette de la route, enlève ton corbillard de là, va chier aux rails, saute tu cales en l’air, chien, faux-blanc, kongolibong, nguenguerou, anglo, bami, tchop blou pot, frog, imbouk, salade, wolowoss…» sont quelques joyeusetés qui fréquentent assidûment les oreilles dans les rues du Cameroun. Discuter de football, de politique et se disputer quelque chose au Cameroun ressemblent à une bagarre d’éléphants ou à une mêlée de rugby.
Les hommes insultent les femmes, ces dernières le leur rendent bien, sucré-salé-pimenté. Les adultes insultent les enfants, ces derniers leur prouvent qu’ils ne sont pas nés de la Vierge Marie, qu’ils sont faits à l’image de leurs parents adultes. Les hommes en tenue insultent les civils, ces derniers ne s’en laissent pas conter. Les handicapés insultent les bien-portants, ces derniers leur montrent qu’on peut être physiquement bien portant et mentalement à incarcérer dans un asile psychiatrique. Les prostituées insultent les femmes mariées et ces dernières leur montrent qu’une femme mariée peut aussi avoir son «asso» boucher, «son» boutiquier Malien, « son » petit étudiant, « son bon gars » policier en même temps que « son mbenguiste » titulaire quand il séjourne au pays. Les vivants insultent les morts, ces derniers le leur rendent en silence dans la sainte paix du repos éternel, tout en leur donnant rendez-vous sur les routes accidentogènes du pays. Quel est celui qui ne voyage jamais au Cameroun ? Si tu reviens d’un pays où on ne t’a pas insulté 5 fois par jour dans la rue, je peux te jurer sans regarder ton passeport que tu n’étais pas au Cameroun.
Il y a les bagarres de rue, les contrôles des policiers au moyen de sifflets stridents (l’usage stipule que le coup de sifflet est tarifé selon la période du mois entre 300 francs et 1000 francs), les klaxons polyphoniques de toutes sortes de guimbardes dignes des musées d’automobile. A dire que lorsqu’on n’a pas d’argent pour réparer sa voiture, on la dote d’un klaxon étourdissant. Il y a un tel vacarme dans les rues camerounaises qu’on croirait que même les morts sont de la fête. L’observation du code de la route obéit à une seule règle : la priorité. Et celle-ci dépend de 2 facteurs : l’un humain, l’autre matériel. Ce sont le chauffeur le plus rapide et habile et le véhicule le plus puissant ou imposant. Ainsi, un camion qui sort d’une issue secondaire (si tant est que cela existe et a un sens, les panneaux de signalisation étant dans ce pays un luxe) a la priorité face au véhicule personnel qui circule sur la voie principale.
Quant aux véhicules 4X4 et autres Mercedes, ce sont des véhicules essentiellement prioritaires, c’est-à-dire classés au même titre que les ambulances, les véhicules de police et ceux des sapeurs-pompiers en route pour intervention. De toutes les catégories des usagers de la route, il ne faut pas sortir de l’université pour conclure que c’est le piéton qui y jouit d’une priorité minoritaire. Le passage clouté, quand il n’a pas été éradiqué sous la gomme de pneus de voitures usagés à 130 %, ne sert que de décor pour montrer que nos routes ont aussi quelque ressemblance avec celles du pays des Blancs. La rue et la route camerounaises sont un tintamarre d’une agressivité à faire prescrire des boules quies sans consultation et sans ordonnance par le 1er oto-rhino-laryngologiste du coin.
Passons sur les violences conjugales, où les femmes battues rivalisent en nombre avec les maris cocus. Laissons les enfants maltraités, dont le nombre est presque égal aux enfants nés hors mariage. Oublions les brimades politiques, où la censure, le mensonge, la désinformation, la roublardise, l’orgueil et les interdictions sont l’activité principale de ceux qui ont le pouvoir. Ne parlons pas du système scolaire, qui est dans un état de putréfaction avancé. N’évoquons pas ici de pauvres fans des lions indomptables tentant de déverser leur rancœur sur de pauvres milliardaires footballeurs en lieu et place de ceux qui, tapis dans leurs bureaux tirent les dividendes de la gloire du football camerounais. Et si la police n’en tue que 4, cela n’émeut personne, un tristement célèbre « barbichard » viendra les présenter officiellement comme malades mentaux et vendeurs de cigarette. Comme si ces défauts leur ôtaient non seulement la nationalité camerounaise, mais aussi leur dignité humaine. On ne va pas arrêter la marche vers le progrès pour si peu !
(À suivre)
Félix Kama
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