NKÀN BITA OU LE SCEPTRE SANS TRÔNE
de Félix KAMA
Note de l’auteur: ce texte est un pré-texte ou mieux, un prétexte à tout: réécriture, redistribution des personnages, réorganisation des tableaux… Les indications scéniques ne valent que ce que vaut une indication, c’est-à-dire une direction large comme ça! Seul l’esprit compte.
(Noir total sur la scène; on entend des coups de fouet, coups de canon, coups de tonnerre, un homme que l’on fouette au loin crie à fendre l’âme) Je demande pardon, Grand esprit, je le ferai … je jure que je le lui remettrai… Assez! Pitié, je le donnerai au sage, de grâce! J’accomplirai votre ordre. Promis ! Je le jure sur ma vie sur la terre ! (Bruit sourd d’une porte que l’on ferme. Chanson pathétique de prestation de serment ou de lamentation. Puis, long silence. Entre une ombre avec une lampe torche qui éclaire à peine) Elle devait bien être ici… ou là peut-être. Je me trompe sans doute… Non, elle n’y est pas ! … Là-bas. Non plus! (Il cherche) Elle se trouvait pourtant bien ici quand je partais… Une habitation n’est pas comme un partenaire resté veuf, c’est quand même tout ce qu’il y a de plus fidèle. C’est sûr que ma maison se trouve quelque part. Voyons, calmons nous et résumons: le soleil se lève le matin là-bas à l’Est et se couche là-bas à l’Ouest ; le Nord est là-bas au nord et le Sud ici s’oppose au Nord. C’est une notion élémentaire d’école. Mais depuis quelques jours, le soleil s’est mis en grève et je me demande comment m’orienter… Et pourtant ils prétendent aussi qu’elle tourne… autour du soleil! Hé bé dis donc, si elle tourne, alors il n’y a plus de gauche ou de droite! C’est absurde à en devenir fou. Parce que bêtement, si elle tourne autour d’une lumière éteinte, elle pourrait tourner dans n’importe quel sens sans que personne ne voie rien, et même qu’elle pourrait tranquillement s’arrêter. Par expérience, si on travaille six jours, le septième on tombe dans un sommeil… léthargique. Cela est tout à fait humain. En vérité en vérité je vous le dis, il lui est arrivé à plusieurs reprises de suspendre son vol. (Pause)
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Au nom de l’histoire, au nom de la mémoire de toute l’engeance qui a disparu dans des guerres où elle n’avait absolument rien à gagner! Au nom de toutes les lucioles qui ont été soufflées gratuitement dans des conflits qui ne les concernaient absolument pas, mais dont l’unanime bravoure d’un sang rebelle à la mort a contribué à libérer les nations libres des nations civilisées dans l’unique but de revenir se libérer des pays ex-occupés pour une libération caricaturale et parfaitement endiguée. Au nom de, et au nom de, ainsi qu’au nom de, j’avoue que nous ne fûmes de tous temps que de médiocres petits tueurs en détails dans de médiocres petits conflits tribaux d’envergure modeste. (Pause)
Une bâtarde de guerre, dans une bâtarde de frontière héritée d’une colonisation tout simplement inqualifiable: donc bâtarde. Que diable venaient-ils donc chercher chez nous? Mais j’avoue qu’ils ont diablement réussi leur truc. Chaque peuple a ses ”belòbelòbò”* et ses ”tchop blu pot”**. Face à la Corrèze, ça se corse. Le flamand est l’ennemi du kurde, le serbe demi-dieu parmi les hommes est l’antidote du chrétien; le tutsi est le poison du palestinien, le turc est le piment du wallon, l’albanais pseudo-homme est l’opposant du musulman, le juif et le hutu s’aiment à mort, l’américain est le grand Satan, le noir et le blanc se chien et chatisent; même ainsi de suite a la chair de poule à l’approche d’etcetera… C’est dans l’une de ces sans père ni mère de guerre frontalière que sans papiers, j’ai bravé mon immigration pour le royaume du grand silence, le royaume où les frontières ignorent les races. La frontière…les frontières, filles uniques de l’égoïsme des hommes!
Me voici aujourd’hui descendu dans le trou de l’oubli. Très souvent au-dessus de moi, j’entends résonner les pas des futurs aliments des vers de terre. C’est ici le lieu de prédilection des couples incestueux et infidèles. Ils viennent me narguer de leur romantisme mortuaire. Entre nous, dites-moi, vous les infidèles, à quoi pensez-vous vraiment en emmenant vos partenaires dans les cimetières? C’est un amour mort-né ou bien alors un amour né-mort? Tant qu’on y est, pourquoi n’y conduisez-vous pas vos conjoints? ”Hé vous les endettés héréditaires, ne nous piétinez pas de votre indifférence. Vos piteuses racines s’abreuvent dans l’amnésie de nos putréfactions. Nous aussi avons été des debout!” Et l’insulte solennel du dépôt d’une gerbe de fleurs artificielles sur ma tombe par quelque prestigieux visiteur en mal de publicité. (Trompette aux morts) << A tous ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur, la patrie reconnaissante! >> Le champ d’honneur… le champ donneur? Il donne quoi? Curieux champ fertile en récoltes de sang innocent. Champ d’honneur! Ma parole, le champ d’horreur, voilà! Il faut savoir pardonner les erreurs, surtout celles des vivants. (Très en colère) Tout de même, tout de même non seulement ils poussent le ridicule en m’offrant des fleurs artificielles en plastique, le comble est qu’à la fin de la cérémonie, ces pingres à qui je n’ai rien demandé, reviennent sans honte retirer leurs couronnes, de telle sorte que la même gerbe de fleurs industrielles est mille fois déposée sans jamais aucune fois être donnée.
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Donc, j’étais laid. Je n’ai d’ailleurs pas changé depuis lors. Elle, c’était une véritable Mami Wata*; elle avait la démarche altière et provocante d’une jeune girafe et la poitrine comme le pare-choc d’un taureau de corrida, la chute des cheveux tutoyait le croissant de lune de sa vue arrière. Et la fesse alors! Aïe, mes ancêtres! Elle avait une fesse joufflue comme deux calebasses qui se côtacôtent et les joues comme l’abdomen de la concubine d’un commandant des douanes. Elle a toujours détourné la tête à l’entrée de mes 5,5m. La lune…la lune…Mais qu’est-ce que c’est que cette forme vieillissante dans le plein de la lune?… Un jour, je lui ai dit: mademoiselle très belle, ancien beau gosse tel que vous le voyez, je suis l’héritier unique du masque de l’ancêtre de l’homme. Mami Wata n’a pas dit oui, elle a ri et c’était le ”ça y est”. Parfois ces choses-là tiennent à très peu de choses. Ah, les femmes… Ainsi, je lui plus, elle me plut, nous nous plûmes et nous nous déplumâmes. La terre pouvait s’arrêter de tourner, la plume ajoutait de l’encre dans l’encrier! Un jour… c’était d’ailleurs la nuit, à cette heure de l’aurore où la tête de nos moitiés est encore un peu entière,
– Tu veux que je te dise quelque chose?
– Et comment donc! Vas-y mamour !
– Tu ne le croiras peut-être pas, mais je dois t’avouer…que…que je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie qu’avec toi… Mon bonheur se mesure à l’échelle de la superficie des fleurs de l’univers!
Les mots de la parole dans la bouche du coeur! En ces mielleux instants, seul le silence est grand, disait à tort le poète. Je me demande souvent quels chatouillements irrépressibles rendent les uns et les unes si loquaces dans ces moments. En tout cas pour ne pas empoisonner cette heure si épicée, j’avais dû fortement réprimer l’envie de lui demander à combien de masculins-pluriel avant moi elle avait chanté cette ritournelle. A vrai dire, je ne dois de n’avoir pas joué les rabat-joie qu’à ma bouche qui très exactement en ce moment-là avait été assiégée d’un bâillon identique. (Confidentiel) Il paraît qu’elles disent toujours la même chose…dans les mêmes conditions d’effervescence.
Mais en ce temps-là, je n’étais qu’un homme. Mon orgueil avait du coup gagné du galon. Alors, on a ensemble toute la nuit descendu les abîmes du bonheur. Chaque heure qui hélas filait, distillait dans notre bien-être une myriade de lucioles en chair de poule, nimbées de lumières vert-fluorescentes. Il y eut plusieurs chocs réglementaires dans nos surfaces de réparation. Alors nous avons conjugué nos efforts, conjugué nos efforts, conjugué nos efforts, neuf lunes durant (il chante)…
nyie ne mebong oó nye ne isum nkak
i pe ya zan nyi mot tege nama
mot a nam ite be yit nya zut
be fur’nye mibok be lom nye a mantum
yekekélé e é o fet’ge lengon
o fet’ge lengon’ite o sòl’gi bidibga
Nos efforts étaient fatigués nous nous sommes compris, compris, compris. (Même chanson)
– Mot-Bita, je veux être ta moitié.
Ah non ah non ah non pas ça! J’aurais encore toléré qu’elle fût l’autre moi, mais je supporte très mal cette manie importée de diviser les gens en deux.
* *
*
Au mitan d’une nuit, à l’heure où les tic-tacs tic-tacs de la montre s’accouplent en position tactique raide verticale pour féconder une autre photocopie de jour, je fus tiré du sommeil par l’appel d’un petit tam-tam du fin fond de la forêt:
kon kon kon kin kin kin
kon kin kon kon kon kin kon kon
Sans-peur-et-sans-reproche
Petit-piment-ntòn-zoura
Aies ta lance à portée de main
kon kin kon kon
Attrape ta gourde de courage
tchip! plante ton oreille gauche
tchip! plante ton oreille droite
kon kin kon kon
téé! pose le pied droit devant
tee! pose le pied gauche devant
pók baa! pók baa! pose rapidement chaque pied devant l’autre
Et viens creuser le labyrinthe de la sagesse
La bosse sur un front, c’est pour qu’on la voie
Viens, sens-interdit-de-beauté
Viens, neveu-des-grelots-de-panthère
Cours, dernier survivant des hommes puissants de jadis
Vole, ultime étincelle des valeurs divines.
J’avais déjà beaucoup marché dans la forêt lorsqu’Akoung l’oiseau-guide des choses de la sorcellerie noire déchira la nuit. (chant)
missatoum mi ngbadoum
kòri ndong
missatoum ééé yélé
kòri ndong…
Où j’étais? Je n’en sais rien. (Une musique de fond. Bruitage de ruisseau qui coule quelque part. L’esprit parle. Voix d’abord touffue, puis progressivement audible. La source de parole vient de plusieurs endroits différents. L’acteur prosterné est éclaboussé par une lumière des plus vives) << Si les orteils sont tournés vers l’avant, c’est pour éclairer les talons. Un guide c’est le front de la spatule: ça ne craint pas la chaleur. Veille quand ton troupeau dort. Et voici la corne de l’endurance. Un fruit mûr ne peut flirter avec la condescendance. Malédiction! Invité clandestin à mon festin, l’homme s’est arrogé le droit de diviser mon gâteau! Et de deux pour l’écorce du courage. Entre un vaniteux bipède et un serpent, l’autre est le plus dangereux, ne tue le serpent que si tu survis. Celui qui ne te trouve aucune qualité ne veut rien de toi, fais-en un ami; l’autre est un calculateur. Si on crie à l’attaque! demande au commandant de montrer l’exemple. Imagines-tu une armée unique vainqueur de quoi que ce soit? ... Réponds!
- Non.
...Le salut de la terre, c’est ce sceptre unique d’interposition dans les conflits civils. N’aies pas peur. Approche-toi. Cueille-le. Va le remettre au sage...au saage...oooo saaaage! L’homme est un vampire...un vaammpire...piiiiiire! Tourne-toi, et ne te retourne pas! >>
(chant)
missatoum mi ngbadoum
kòri ndong
missatoum ééé yélé
kòri ndong…
J’entendis des pas lourds s’éloigner, qui faisaient clapoter de l’eau. Ce n’est alors que je sentis que je me tenais les pieds dans un ruisseau. Quel était donc ce ruisseau inconnu?
* *
*
Je ne comprendrai jamais pourquoi il n’existe pas de paradis sans serpent. Hélas le triste matin des vérités douloureuses a ouvert son œil censeur sur nos emblavures idylliques. Le bonheur dans votre terre éphémère terre de misères s’est donné le destin pour alter ego. Je ne saurai jamais ce qui a allumé le feu entre le pays voisin et mon pays dans notre serpent de mer balkanique de frontières arbitraires. D’ancêtres communs authentiques, nos ancêtres d’adoption nous ont patiemment inculqué que nous étions différents. Grâce à ces généreux bienfaiteurs, nous avons parallèlement et simultanément appris que le voisin n’est rien d’autre qu’un bâtard de basse extraction, un sous-homme sans-papiers qui vient s’engraisser sur la sueur de notre naturel héritage. Le voisin, c’est comme un bébé de caillou dans la chaussure. C’est seule les règles de bienséance qui nous empêchent de l’extraire.
C’était dans le pays un bruissement pandémique. Il fallait en découdre une fois pour toutes avec le pays voisin, le frère voisin, l’ennemi voisin, le pays-frère-ennemi-voisin. Tous les médias du pays l’avaient désigné comme le provocateur. Une guerre-éclair vite fait bien fait devait permettre de laver à jamais l’affront. Le porte-parole du gouvernement avait énuméré les nombreux et puissants amis à travers le monde: à peu près 178 pays! Imaginez, un tel soutien, c’est qu’on avait irréfutablement le droit pour nous. Un gigantesque recrutement-enrôlement immédiat avait été lancé dans tout le pays. Animal de basse extraction, je remplissais si efficacement les critères de recrutement: deux points, à la ligne, tiret: être jeune, sans sexe distingué; être concrètement ou potentiellement en chômage, point final. Inscrit au tableau d’avancement au chômage illimité, j’étais devenu l’objet de pression de toute la famille. Je devais me porter volontaire. Quelle honte pour la famille si on devait m’enrôler de force!
J’étais sérieusement atteint, mais je vivais encore. J’aurais même survécu. J’en suis absolument certain. Mais on ne survit pas à son destin. On m’a enterré vivant, là-bas, dans une terre qui ne me reconnaît pas. Je me suis éteint lucide, lentement, longuement, patiemment, doucement; étouffé par la cruauté de ceux qui envoient les fils des pauvres au feu pour défendre l’or de leur progéniture terrée à l’abri des bunkers. La faute à ma plèbe de procréateurs, ces fournisseurs-livreurs en gros des casernes. Les vrais parents ne choisissent jamais le treillis pour leurs héritiers. Ce n’est pas quelque chose pour ceux qui se rassasient trois fois par jour. La guerre, c’est pour les copains de la faim, ceux chez qui le vocabulaire gastronomique a faim, ceux chez qui le mot goûter ne déclenche aucune salivation, ceux qui battent mollement la mesure du côté désertique de la vie. Ces chiens font forcément de bons soldats. Ces têtes vides connaissent l’essence de l’obéissance: alors on peut y accrocher un fusil. Ils détiennent le secret de la haine de l’autre de l’autre côté, celui qui attente à leur pain. Leur potentiel de violence est si heureusement prématuré. (Solennel) Tout pauvre sera présumé coupable jusqu’à ce qu’il ait éprouvé son supplice… À qui donc vais-je remettre ce bâton?
* *
*
– Hé ho! Du calme-là! Que se passe-t-il?… Pardon?… non non non parlons chacun à la fois, sinon on ne s’en sortira pas. Que diable, faisons un dialogue constructif! Toi, oui toi le moins excité, pourquoi t’agites-tu?
– (débit soporifique) Dis-moi quelle raison tu avais de me tuer. Je ne t’avais rien fait du tout!
– Ton tort était évident! Tu étais né dans une tribu ennemie à la mienne depuis des siècles. Voilà une raison suffisante…
– Mais les tribus existent dans tous les pays du…
– Non non non, pas de discussion! C’est pas un parlement ici. Regardez-moi son ventre! Au suivant! Toi là-bas, qu’est-ce qui inquiète ta tranquillité?
– (bègue) Tu as ordonné ma pendaison. Pour qui te prenais-tu pour interdire aux gens de respirer de l’air pur?
– Et toi-même, qui t’a appris à jouer au petit héros? Comment! Vouloir attenter aux intérêts économiques des nations amies qui purifient notre sous-sol de ses saletés minéralicides! Tu étais fou ou bien malade?
– Toi tu te croyais immortel? Enfin, l’heure de régler nos comptes est arrivée! Qui parmi vous possède une corde là?
– Hé hé hé! Vous, ne vous mêlez pas des histoires qui ne vous concernent pas. Du calme, jeune homme, voyons. On ne tue pas un cadavre! Au suivant de ces messieurs! Toi qui aiguises les couteaux, tu ferais mieux de les utiliser pour te raser…
– Kai wa lai souba ha na lai…
– Quoi? Que marmonnes-tu dans ta vieille barbe? Si tu parlais dans une langue plus civilisée, comme la mienne, cela faciliterait notre dialogue.
– Allah wa kubat! Allah est garand et Mohammed est son porophèt! Moi, Laden Ben Salam moi ze dis: nous vivions taranquil’ment dans notere pays. Ti es zarriwé walaï avec ton z’avions sophistiqués pour zetter beaucoup beaucoup ta siroprodiction les bombes sir nous. Walaï alors que nous ne sawons même pas où se tourouwent les forontières de ton pays.
– You were living in the most dictatorial regime of the twentieth century. As gendarms of the world, we had the duty to remove this devil.
– Allah wa kubat Allah est garand et Mohammed est son porophèt. Moi Laden Ben Salam ze demande est-ce que wou sawez réuissi?
– We still on the good way to succeed. It’s not a wargames.
– Allah wa kubat! Mais en attendant wou massaquerez impinément et tiriomphallement des innocents. Et pis, wou-même là, c’est quel déqueret wou s’a nommé zendarme di monde?
– Mais nous ne voulons que votre bonheur…
– Allah wa kubat! C’est quoi bonheur de un cadawere?
– Non..c’est avant..les droits de l’homme…l’O.N.U. avait prévénu…
– Quel ni? Cela se tourouve où? Ce que wou-même wou y faites, ce n’est pas pire dictatires? walaï c’est quoi le douroua de wéto?
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(Lointain son du clairon, se met au garde-à-vous, suit le discours du ministre de la guerre) Il était tôt ce matin-là, la présence du ministrillon des conflits à une heure si prématurée était suffisamment indicatrice de ce que quelque chose de mal-mauvais était en cours. <
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Mon voisin de derrière en a profité pour s’attraper quelque chose vers la seconde moitié de la gueule:
– Dis, tu veux me faire peur ou quoi? Ôte-moi cette horreur! Il n’a pas dû beaucoup apprécier mon reproche. Il s’est retourné et à demi courbé, je l’ai vu faire de gros efforts pour se démasquer. Il titubait et ainsi il a pris le sentier par lequel nous étions venus. Cela m’a fait òòòòhh ouaaiiis qu’il confonde l’aller et le retour.
– Hé camarade! Tu peux garder ton masque si cela te plaît. Mais si tu espères retourner à pied au quartier géné… Ce gars doit être congénitalement impoli. Je n’avais pas terminé mon conseil que tout à coup il a ramassé son corps, en a fait une bonne boule, s’est soulevé et s’est envolé. Tranquillement! Il a atterrit n’importe comment cinq sept mètres plus loin. Je me suis dit: voilà un para commando qui n’a pas assimilé la méthode d’atterrissage. Pourvu qu’il ne se casse pas un membre. Bonne chance, camarade!
Quelqu’un en face de nous tirait. Autour de moi, des collègues poussaient des cris bizarres en se tortillant avant de s’étendre. C’était une joyeuse symphonie des hiiiii, des waïïïï, des hrrrrmmm, des oooohhh et des a nna me wu ya! Mon voisin immédiat s’est offert la même recette. << Toujours à vouloir imiter les autres! C’est pas génial ça, la photocopie. Tu peux pas être original? >> Une fois à terre, il a voulu me dire quelque chose.
– Pardon?…Tu ne peux pas parler plus fort? Idiot!
– Classe… classe je… je crois que…
– Tu te crois à l’église ici? Arrête de murmurer, vieux canon. Le type en face fait déjà suffisamment de tintamarre avec son joujou. Alors si tu veux… Il a tout à coup vomi des choses vert rouge tintées de jaune. Pouah! Je n’ai pas été très content de lui. Parce que cela a sali mes brodequins. Je me suis agenouillé pour lui signifier la chose. J’ai vu un peu de rouge sur sa poitrine, c’est alors que j’ai su que le type en face tirait dans notre direction. J’ai tendu mon arme vers son côté. Rendre un salut n’est pas du tout impoli, dites donc! C’est même un devoir. J’ai pensé très fort à mon épouse. La pauvre doit se faire du souci pour son porte-monnaie ambulant…Une vieille femme là-bas sur la lune, une hotte sur le dos…Pourquoi? J’ai caressé le petit croissant de lune… une fois, une seule fois seulement et le vacarme en face s’est tu. Mon voisin aussi d’ailleurs. Bof, je n’en demandais pas mieux de quelqu’un qui a découvert le secret du bégaiement. Je déteste les gens qui se croient toujours obligés de dire quelque chose, faute d’avoir quelque chose à dire. Le coq dit: moi dans ce genre de jeux où on s’amuse à tordre le cou des gens! Non merci. (Il rit) Prends soin de toi, collègue!
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Notre commandant n’aime pas beaucoup la lumière. Et comme beaucoup d’éclaircies et de trous se propageaient dans nos rangs, il a ordonné de lever le camp. Nous avons atteint une route et un de nos camions est arrivé. Le chauffeur avait l’air d’un manchot. J’ignore si cette mode de vantardise-là avait une relation avec le pare-brise fracassé du camion, mais nous avons sauté dans le véhicule et j’ai dû pousser le chauffeur de côté parce qu’il ne semblait pas s’apercevoir que des gravillons de choses arrosaient la carrosserie du camion.
La route était fleurie de morceaux et de tronçons de viande. Cela m’empêchait de filer. Je m’appliquais autant que faire se peut à les éviter. Mais les grains de choses semblaient maintenant nous pourchasser. Des camarades derrière dans le fourgon poussaient des cris et on a dû les débarquer pour alléger le véhicule. C’est comme ça, je n’y peux rien: en guerre, seuls les objectifs justifient les pertes. Mais la route était toujours aussi impraticable. Alors j’ai dû me résoudre à cesser de gymnastiquer sur le volant. Des choses bizarres explosaient sous les roues, comme de gros œufs. Cela a tellement duré qu’il en est né un rythme régulier. (Imite le ronflement du moteur et fait des syncopes de ballons cassés, d’abord seul, puis y invite le public. La 1ère vitesse correspond à un battement de mains, la 2ème à deux, la 3ème…jusqu’à la 6ème. Le train est lancé).
-Ho ho ho stop ! arrêtez! Allez lentement, je suis pressé. Que diable, il n’y a pas le feu à la paillotte, que je sache! Est-ce qu’on est à la guerre? Vous ne voyez pas qu’il y a un radar de contrôle? Bien. À présent que le rythme était régulier, je pouvais à loisir penser, parce que cela m’arrive aussi quelques fois.
Si nos ancêtres pouvaient lorgner dans le futurviseur de leurs cercueils, ils se croiraient dans une autre planète. Voilà des attardés qui autrefois se contentaient de teuf-teuf corps à corps, alors que nous on tue en super gros. Grâce à la tombe… à l’atome, nous on rase. On rase les forêts, les villes; on rase la mer, la terre; on rase les murs, le ciel; on rase les intellos, les sans-papiers, les sans-domiciles; on rase la tête, on rase les sourcils, on rase la barbe, on rase les jambes, on rase un peu plus haut, ne nous reste plus qu’à raser les cils et les rasoirs. Et au rythme où on va, je vous assure qu’on est très avancé sur ce petit retard. Vous doutez? Déjà nous plantons les mines non seulement sur la terre, mais aussi dans la mer et dans les airs. Nous nous appliquons minutieusement à miner l’avenir! Le progrès, mon petit! Le progrès, tout est là: ne jamais répéter les erreurs d’autrefois; toujours les remettre à l’ouvrage et les améliorer!
La terre, il faut la nourrir. Elle a soif. Elle est fatiguée de s’abreuver d’eau simple: le déluge, les pluies, les océans, toutes ces broutilles, non merci. La terre, elle est globulovore, cette hyène a faim de charcuterie, de la chair de nos enfants à canon. Et le véhicule filait maintenant sur les viandes et les œufs de ces illustres inconnus sans galons bombardés héros grâce au seul mérite d’être morts pour la patrie. Vraiment, la célébrité emprunte parfois de ces sentiers! Un barrage nous accueille à feu nourri. Avancer devient suicidaire. Reculer est mortel. S’arrêter s’avère périssable. Aïe mes ancêtres, quelle race ”immourissable”!
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Ouuïlle! Une jambe de moins! C’est rien, (il sautille) ça pourrait être pire (il rit). S’il est un concours où les meilleurs sont les derniers, ça doit être celui d’idiotie. Hé ho! Y’a pas un médecin légiste dans la salle? Beh dites-lui que son client est déjà prématurément en pièces détachées. Il risque le chômage technique hein! Parce que moi, la greffe des organes, ça ne prend pas. Cela me plairait… ayayaille! L’autre pied! (Il tombe et rampe) C’est rien, (il rit) ça pourrait être pire. C’est seulement l’homme qui a peur, sinon il n’y a même rien. Les choses sont comme elles sont et se font selon la logique des choses. Énergie de cette belle terre rouge écarlate, à moi! Je dois absolument le remettre. (Incantations en langue maternelles) La volonté de l’esprit doit être accomplie. Oh puissances ancestrales, ne me lâchez pas maintenant! (il chante)
nga’n yo i ne ngul abui yéléé ké
i mòn’me te din’ assòò yéléé ké a…
Je progresse et la musique des feux croise tout autour de moi. Le soleil exact au-dessus de ma tête risque un éclat cinglant. Un reçu de rayon dru trace un halo sur le sceptre. Ah! Posséder le soleil! D’un coup un seul coup de rein éléphantesque, plonger dans le chaud brûlant de la matrice du soleil et tap…tap…tap! Trois gouttes, trois gouttes de vie seulement, engrosser le soleil et donner naissance à des triplés de soleillons. Je dois me dépêcher. Mais je cherche des mains sûres. Y a-t-il quelqu’un ici qui a des mains pures? Je veux des mains dures. Montrez-moi des mains mûres! Ouaiiiiiiye! (il est de nouveau atteint)
Ha ha ha ha ha! Je jonche le sol en tout petits grammes de petites viandes. Ils peuvent toujours m’éparpiller, même en tranches de parties en morceaux de miettes dispersées. Tant que l’Esprit du souffle souffle ses papillons de vie dans mes veinules, je dois y parvenir. (Il cherche) Elle se trouvait pourtant bien ici quand j’embarquais sous le drapeau. Une habitation c’est quand même tout ce qu’il y a de plus fidèle. Je suis persuadé que ce doit bien être quelque part. Voyons, calmons nous et résumons: le soleil se lève le matin à l’Est et se couche à …En pleine face de moi, regardez là, là, la moins haute des neuf collines, escarpée, glissante et condescendante, debout comme un objectif tombé; comme un vrai cochon qui ne sait regarder ni en haut, ni devant ni derrière: admirez au milieu des décombres et des ordures, le martien palais de Jupiter qui dresse son firmament comme une injure à l’engeance des damnés que la misère engrosse à larges coups de reins! Comme un joyau d’obscurité au milieu d’un lac de feu, ce champignon étend ses oreilles vampiriques sur son alentour de cimetières. Un pas plus un autre pas ne donnera jamais rien, malgré le Pacs, vu qu’ils sont homosexuels. J’emprunte une foulée que je ne rendrai jamais, je les Adam et Eve, égale trois pas. Courage, vaillant garçon! Ils veulent me mettre dans une situation insortirable (il rit et rampe)
Des odeurs civilisées, c’est-à-dire…civilisées, voilà: des odeurs donc riches fusillent mes naseaux hypoglycémiques de conspirateur. Dracula et Dalida ont copieusement soupé, pour commémorer et exorciser les râles de ceux qui chuchotent l’avenir! Regardez: le lourd portail est d’or; la table est d’or, au chevet la mallette apprêtée est d’or, le lit est d’or et le roi dort, beau comme une érection en faillite; avec au bras un bracelet en or enchaîné à la mallette d’or. La cuisine est d’or, le bijou est d’or, la robe est d’or et sur le baisodrome où le roi dort dort… sur le baisodrome où le roi dort dort ma femme. Tout dort, seul l’or veille. Qui dort dîne. Bon appétit! Je la regarde, je le regarde, je la regarde: elle lui a certainement dit la même chose qu’à moi. Elles disent toujours la même chose dans les mêmes conditions d’effervescence. Bon appétit, mon amour. (Il tombe sur la femme, mime l’acte sexuel, chante en l’assassinant)
ma me ne oben okee
ndomni osum ingouli
iwali moan indan’at
Adieu mon amour
mini kar’ge ma biyen’a ntsi na ngoan ye ma djam mfugu ouvugu…
et bienvenue dans l’Horizon ! Je le regarde, je la regarde, je le regarde. Est-ce le troupeau qui garde le berger ou le berger qui veille sur son troupeau? Le coq-Soleil joue à la course-poursuite avec la Lune-poule. Le coq a engrossé la Lune, d’où les étoiles. À quand le Soleil et la poule? (Il ligote le roi sur le lit) Les choses sont ainsi faites que si les riches pouvaient payer des gens pour mourir à leur place, beaucoup de pauvres mourraient riches. D’ailleurs, je crois stupidement que si les excréments étaient un bien économique, les gueux naîtraient sans cul. Hélas! Les guerres, qu’on les perde qu’on les gagne sont comme bagarres d’éléphants, ce sont les arbustes qui trinquent et quand souffle la tempête dans le sens du poil, les herbes se couchent. Mais si la brise souffle à rebrousse-poil, on a parfois vu des baobabs visiter le sol qu’ils ont si longtemps nargué. Le crocodile oui le croco… non, le caïman dormait sa part sur la berge. Il n’avait rien dit, mais chacun protégeait ses mollets. De quelque chose fit la nature quelque chose. J’étais quelque chose, tu as voulu m’annuler. Je suis devenu un lombric. De ce rien additionné à toi, je fabriquerai quelque chose d’éternel: la poussière. Tu le savais très bien: une fin sans rites ni rituels n’est qu’une mal-demi-fin. Je suis revenu pour partir enfin. Bon appétit mon co-époux! (Il chante en assassinant le roi)
ma me ne oben okee
ndomni osum ingouli
iwali moan indan’at
Adieu mon co-époux,
mini kar’ge ma biyen’a ntsi na ngoan ye ma djam mfugu ouvugu…
et bienvenue dans l’Horizon. On dit que je suis dans la nocturnité un malheur en mouvement. J’essaie de toutes mes tripes de faire la lumière, hélas, les bien-pensants le voient mal. Qu’y puis-je? Si je le fais, ils sont fâchés, je suis content; si je ne le fais pas, ils sont contents, je suis fâché. Faire ou ne pas faire?… Alors, moi je préfère qu’ils soient fâchés parce que dis donc, je n’ai pas le choix. On n’emprisonne pas la lumière. À toi le témoin! Va remettre ce sceptre aux mains du sage, entre vous là-haut vous devez pouvoir en trouver un. Bonne chance! Et maintenant: Soleil et qu’elle tourne! (Il sort en chantant)
haa yééé haa yé adèloo haa yé
adèla te kaa djonaa nyòn é
haa yééé haa yé adèloo haa yé
adèla te kaa djon bôkon é…
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