- Talom est un petit génie : cet enfant ne va pas même pas encore à l’école, mais il parle déjà français !
- Ma mami ééé! Di small pikin Nfor no dé go school, but I dé though sotééé. I already tok big gramma! wandaful!
Ces propos louangeurs ont bercé longtemps notre enfance dans les villages, ridiculisant au passage nos cousins, ces « villageois » qui ne savaient même pas parler la langue du Blanc. Il y a de quoi. Depuis l’époque coloniale et jusqu’à mon enfance, l’usage des langues « vernaculaires » à l’école était prohibé. Tout élève contrevenant était puni à porter autour du cou un symbole, sorte de collier fait de coquilles d’escargots vides ou vieilles boîtes de conserve. On ne se débarrassait de ces menottes que lorsqu’un autre élève avait « parlé patois ». Tel le péché originel, nous continuons à transmettre cet ingrédient de l’asservissement des peuples à nos enfants. Par snobisme, on éprouve une certaine fierté à dire : « moi je ne parle pas patois ». L’enfant grandit avec une honte de s’exprimer dans l’idiome de ses parents.
On rencontre de plus en plus de gens qui portent un nom indique leur origine ethnique. Mais lorsque vous leur adressez la parole dans cet idiome, ils sont terriblement gênés de vous répondre qu’ils ne savent pas parler leur langue maternelle. Ils portent leur appellation comme on porte le drapeau d’un pays étranger. Ne leur demandez pas surtout ce que signifie Tchinda, Maffo, Bikobo, Ngono, Ashu, Obama, Epoh ou Maïdadi. Ils peuvent mieux te dire ce que signifie Benoît, Xavière, Ahmadou, Paul, Gustave, Angeline, Pius ou Titus.
Dans le même ordre d’idées, le vocabulaire quotidien est plein de ces comparatifs qui cachent très mal le degré d’avilissement que nous avons atteint. « Ngatchou est un vrai Blanc. Mvondo mange comme un Blanc. Ndumbe s’habille comme un Blanc. Le couple-là fait seulement les choses des Blancs … » Je ne m’arrêterai point sur ceux qui déploient moult acrobaties à plisser lèvres et langue, à martyriser les cordes vocales pour singer l’accent british ou parisien. Dans les routes crevassées de Mvog-Ada où cela fait un peu « ça-c’est-qui-ça-encore ? », on a envie de se retourner et demander au chimpanzé ou à la guenon: « Dis donc, toi tu es arrivé(e) au pays quand? »
Pourtant, au détour d’une conversation, il est courant d’entendre le narrateur dire: c’est difficile de traduire cela en français, ça n’a pas « le même goût » lorsqu’on le dit dans la langue maternelle. Si notre propos était un cours de linguistique, nous n’aurions pas assez de plusieurs volumes pour montrer le gisement d’or et de diamant que sont nos langues maternelles. Lorsque 2 africains parlent « africain » dans les rues d’Europe, c’est mielleux, j’eusse dû dire jouissif. La langue véhicule la culture authentique du locuteur. Qu’on le veuille ou non, l’expression du « moi » qui passe à travers une traduction dans un support linguistique étranger édulcore le contenu. Lorsque les émotions de 2 individus d’origine ethnique ou raciale différente atteignent un certain paroxysme, il est courant que l’une des personnes « se lâche » subitement dans sa langue maternelle. On insulte copieusement l’autre dans cette autre langue qu’il ne maîtrise pas. La langue que l’on possède en particulier devient une arme pour vaincre l’ennemi. Ce n’est pas ici le lieu de se demander si cette réaction est morale ou non, mais cette rupture du dialogue permet plutôt une expression authentique des sentiments qui habitent celui qui s’emporte. Pour nous Africains, ne pas pouvoir transmettre cet héritage linguistique à nos enfants est un crime, un infanticide. Paraphrasons le poète qui se demandait : comprenez-vous ma douleur d’exprimer les choses de chez nous dans une langue qui n’est pas de chez nous ?
Qui ne s’est jamais senti giflé ici en Europe par la sempiternelle question : comptez-vous rentrer un jour chez vous ? Dans mes conversations avec les occidentaux, la pire des questions que je redoute est la suivante : en quelle langue pensez-vous ? Je me rends alors compte que je ne suis plus moi-même. J’ai perdu mon nom, mon pays ne m’appartient plus et j’ai même perdu ma langue.
Les chercheurs établiront peut-être un jour le lien qui existe entre le développement et l’apprentissage dans sa langue maternelle. Quand on observe, la grande majorité des pays développés y sont parvenus avec leur propre langue maternelle. Anglais, Chinois, Japonais, Français, Allemands…Très peu de pays ont atteint ce standing avec une langue d’emprunt. Nous devons fournir deux fois plus d’efforts qu’une. Pendant que les natifs des pays concernés apprennent directement les secrets du monde et de la science dans leur langue de naissance, nous perdons un temps non négligeable à apprivoiser d’abord leur langue et quand il faut s’attaquer maintenant à leurs secrets, nous accusons inéluctablement du retard. Les étudiants africains qui vont en Occident et en Asie étudier en dehors des aires linguistiques des pays les ayant colonisés connaissent la fameuse « année de langue ». On trouve parfois ici le cimetière de bien d’ambitions. La non obtention du diplôme de langue te sacre un cancre de référence quand bien même tu as obtenu un baccalauréat « limpide » au pays.
La traite négrière entamée par les Arabes, continuée par les Européens et qui s’est perpétuée à travers ses filles la colonisation et la néo-colonisation n’ont pas seulement dépourvu le continent Noir de ses bras. Elles ne l’ont pas seulement jour et nuit lessivé de ses « scandaleuses » matières 1ères. Elles ont fait pire : elles ont lessivé les cerveaux des Africains. Comme un virus informatique, ces véritables crimes contre l’humanité ont formaté nos systèmes de penser, nous rendant tellement convaincus de leur nécessité historique au point qu’il est même possible de voir des Africains en venir aux mains si quelqu’un osait leur démontrer le contraire. Pince sans rire, on appelle cela les bienfaits de la colonisation.
Pour nous coloniser, il fallait percer nos secrets. C’est pourquoi les Blancs ont d’abord appris nos langues. Et dès lors qu’ils nous ont atteint mortellement, ils nous ont appris à les dédaigner. Le tribalisme est d’abord un complexe de tribus qui se croient supérieures à d’autres. On pense que la langue de l’autre est une langue de « sauvages ». Les langues bamilékés seraient gutturales, l’éton serait brutale, la foufouldé chevrotante, la bassa tonitruante, la boulou implorante. Quant à la bamoun alors… Les Béti appellent les non Béti des « belòb’lòbò » (onomatopée d’une élocution sans virgule ni point et le tout dans une bouillie verbale) tandis que les non Béti qualifient ces derniers de « nkwa’a » de « Tchop blu pott » (référence à une alimentation indigeste ?)
Il est indéniable que les langues héritées de la colonisation ont permis de former ce que l’on nomme aujourd’hui des Etats. Mais si cela se fait sur le sacrifice des langues maternelles, si ceci est le prix à payer, il y a comme une injustice. C’est un prix qui ressemble à la sentence suprême. Car il n’est ni scientifique, ni empirique de penser qu’apprendre les langues étrangères empêche de connaître sa langue maternelle, tant il est vrai qu’un polyglotte est celui qui parle plusieurs langues et suscite toujours de l’admiration. Sauf si on veut dénier le statut de langue à nos langues maternelles. Nos langues maternelles sont notre âme. Les abandonner est signer notre arrêt de mort. Il n’existe aucune langue au monde qui ne puisse exprimer les notions de science ou de technologie. Il n’y a que des préjugés qui estampillent certains idiomes de pseudo langues. Les enfants Allemands, Anglais, Français etc n’obtiennent pas toujours leur meilleure note dans l’épreuve de langue. On connaît la citation d’un célèbre négro-africain : « J’enseigne le français aux petits Français de France »
C’est vrai que les africains sont de plus en plus citadins et le brassage ethnique ne favorise pas l’émergence d’une langue nationale. Les langues étrangères héritées de la colonisation semblent donc a priori le socle qui favorise l’intercompréhension entre ressortissants de différentes ethnies. A priori seulement, car dans le cas du Cameroun, le bilinguisme a créé de facto un glissement de tribalité vers les langues officielles. Il y aurait donc une tribu francophone et une tribu anglophone. Ceci est vérifiable dans les termes péjoratifs « Anglo » et « Frog ». Il existe même une tierce tribu : les anglo-bamis dont aucune géographie ne situe la provenance dans notre passé migratoire. Une vraie hérésie. Si en classe de 4ème, on a le choix d’une langue seconde qui est l’allemand ou l’espagnol, on pourrait aussi avoir le choix en année de Tle de 2 langues nationales qui ne peuvent être ni celle de votre père, ni celle de votre mère.
Voici que des élections se profilent à l’horizon. C’est le temps pour les « élites » d’aller chercher une onction populaire chacun dans leurs villages d’origine. Le principal obstacle n’est pas souvent l’affrontement des pistes et sentiers réfractaires aux caterpillars, encore moins le courroux des moustiques et serpents avides de sangs citadins. Les véhicules 4X4 rutilants sont conçus par les Blancs uniquement pour les campagnes électorales dans les forêts africaines. A quoi servent les costards 3 pièces, si ce n’est à défier ces insectes et autres joyeusetés de la forêt? Si cela s’avère même nécessaire, on rentrera passer la nuit dans la ville la plus proche, en compagnie du « tout dernier bureau ». Non, vous n’y êtes pas. L’obstacle majeur est la langue de communication. Comment diable formuler ces 3 phrases magiques dans l’idiome local sans y mettre 70% de langue du Blanc : « Moi c’est votre fils X, petit-fils de… neveu de la tribu… Je viens vous demander de voter pour notre Créateur et Sauveur le président Y. Voici Z sacs de riz, casiers de bière et cartons de maquereaux » ?
La science linguistique enseigne comme un fait établi qu’une langue qui n’est pas usitée meurt. Ne resterait-il donc plus qu’à entonner le Te Deum pour nos langues maternelles ?
On ne peut nier la société multiculturelle dans laquelle nous vivons et qui sera inéluctablement internationale. International, globalisation signifient t-ils « sans nous » ? La langue du Blanc, tu ne sais pas parler. Ta langue « même même », je veux dire « sèp sèp » tu ne sais pas parler. Qui es-tu alors ?
Leave a Reply