Félix KAMA vit en Allemagne. Il est enseignant de formation et exerce comme artiste comédien et donne ses spectacles en français, en allemand, en Eton (une langue parlée dans le département de la Lékié ), autres langues camerounaises en particulier et africaines en général. Lors de la 6ème édition en 2005 du Festival du one-man-show “ Vidlunnja ” à Kiev en Ukraine, l’artiste comédien, Félix Kama a été lauréat de deux prix avec sa pièce “ Où est-ce mieux ? ”.
Quelle appréciation faites-vous de l’engouement des Camerounais de l’intérieur pour le projet d’apprentissage de la langue Eton que vous portez ?
Mon sentiment est mitigé. J’ai dû répondre bon nombre de fois à la question: „à quoi sert-il aux enfants de la Lékié d’apprendre encore l’Eton alors qu’ils parlent déjà cette langue au quotidien?“ Ma réponse: sur 10 enfants qui parlent Eton, combien savent l’écrire?“ Dans la société moderne, parler est le corollaire d’écrire. Au-delà de l’apprentissage de la langue, notre projet va bien plus loin: il s’agit de coupler l’apprentissage de la langue avec la maîtrise de l’outil informatique, cet outil qui est aujourd’hui grâce à l’ordinateur un passage obligé vers la maîtrise des nouvelles technologies de l’information. Il faut rendre l’utilisation de l’ordinateur banale. Il y a 10-15 ans, le téléphone portable au Cameroun était un objet de luxe.
Aujourd’hui, si vous oubliez votre portable sur un étal au marché Mokolo, il y a des risques énormes que l’on vous le lance sur la nuque en vous maudissant avec votre malchance. La mode est à 2-3 portables par personne! Même ma grand-mère cause avec moi au téléphone tout en récoltant ses arachides au champ. Au-delà de la réponse que j’ai donnée à mes congénères Eton, presque tous m’ont promis d’en parler au cours d’une réunion avec l’association des avocats originaires de la Lékié, avec l’association des douaniers originaires de la Lékié, avec l’association des commerçants de la Lékié, avec l’association des ingénieurs…
Si je connaissais un braqueur ou un sorcier, j’aurais rendu visite aux associations de ces corps. Il n’y a que l’association des ministres ressortissants de la Lékié que je n’ai pas rencontrée, et pour cause, elle n’existe pas et n’est même pas prêt d’exister parce que dans ces arènes-là, chacun se la joue solo. Bref, tout un chacun s’est refugié derrière une association pour me faire croire que lui-même n’était pas concerné, mais d’autres personnes plus haut placées. Chacun a ignoré que je lui parlais du projet pour qu’il dise: voici ce que j’offre pour ajouter à ce que tu as apporté! Je suis prêt à parier que si le Président de la République annonçait une visite même éclair à Monatélé, chacune de ces personnes ressources ferait des pieds et des mains, quitte à soudoyer pour avoir un ticket d’invitation en tant qu’Elite intérieure ou extérieure. Heureusement que tout espoir n’est pas perdu.
Il existe quelques individus tel Mme. Messi Ngono, Sa majesté Ebassa Bruno-Magloire, les journalistes Alphonse Joseph Eloundou et Eloi Bela Ndzana ou encore le jeune informaticien Nkoa Mvogo qui se veulent des locomotives de cette initiative. Je ne doute pas que d’autres, sceptiques sont tapis dans l’ombre, attendant que le train se mette en route. Je leur dirais que le plus tôt ils y monteront, plus énergique et plus rapide roulera le train. Il est inacceptable que les vaillants ressortissants de la Lékié, reconnus à l’unanimité sur le plan national pour leur dynamisme, leur orgueil, leur noblesse et leur fierté regardent les autres départements du Cameroun leur dammer le pion.
A quelles types de difficultés faites-vous face dans le cadre de ce projet ?
Les difficultés sont innombrables. Elles sont paradoxalement plus humaines que matérielles. Il est aujourd’hui facile même sur place au Cameroun d’acquérir le matériel didactique pour enseigner les NTICs. Mais, fédérer les hommes autour d’un projet bénévole n’est pas chose aisée. C’est pire s’il est question pour eux de mettre en plus la main à la poche. Alors que tous les natifs Eton à priori comprennent la nécessité de faire acquérir les langues atí, éton, manguissa à leurs progénitures, perpétuateurs naturels de notre culture, il est absurde de s’expliquer pourquoi personne ne veut se jeter à l’eau. Puis, il y a des difficultés institutionnelles, avec la douane, les grands fonctionnaires du Minesec et du Minedub qui revendiquent ouvertement „leur part“ sur ce projet que les „mbenguistes“ riches comme Crésus apportent. Il y a aussi des difficultés liées au terrain: les doléances des enseignants-encadreurs, les carences en alimentation électrique dans les écoles, la garde et l’entretien des ordinateurs, les égoïsmes
De quoi vivez-vous et quels sont les sources de financement de votre projet ?
Comme la plupart des gens de la diaspora, je vis des découverts que les banques nous accordent, qui font que quand mon salaire arrive, il vient essayer de combler le trou de mes 3 mois de minus. C’est grâce à cela que je peux financer ce projet fou.
Vous êtes très engagé dans la promotion des langues nationales en Afrique et singulièrement au Cameroun. Qu’est ce qui justifie un tel engagement ?
Pour moi, je le ressens comme un engagement pour ma survie, pour ma langue maternelle qui m’a aidé à réaliser et établir mon „moi“ dans mon domaine professionnel et social. Ma langue maternelle n’est pas qu’un produit exotique ici chez les Blancs. J’y puise aussi toute la sagesse de mes ancêtres pour argumenter. La littérature orale africaine, qui est soeur aînée de l’écriture est un trésor inépuisable pour celui qui parle sa langue maternelle.
Ajoutons enfin que c’est par ma langue maternelle que j’exprime le mieux mes émotions. Elle me permet aussi de me défouler vis-à-vis de locuteur étranger de mon idiome, tandis que l’homme occidental semble sans secret devant moi, parce que je maîtrise sa langue maternelle!
Quelle appréciation faites-vous de l’engouement des Camerounais de l’extérieur pour le projet que vous portez ?
Les camerounais de l’extérieur sont une photocopie à peu près conforme de ceux qui sont restés sur place. Ils sont de tous bords: ceux qui se la jouent perso; ceux qui se disent voyons voir; ceux qui comprennent du projet la même chose que le chien qui écoute la musique, et un nombre epsilon qui s’y engage. Nous avons essayé de mobiliser les camerounais de la diaspora à travers tous les moyens médiatiques autour de ce projet. J’ai interpellé mes compatriotes d’Allemagne en mettant de transporter gratuitement les ordinateurs et autres appareils au Cameroun, croyez-moi si vous voulez, sur une vingtaine de milliers que nous y sommes, seules 2 personnes se sont associées à moi, des ressortissants des départements du Ndé et du Bamboutos! En plus de la Lékié, cela fait 3/52 départements. A chacun de sortir la calculette et établir le pourcentage.
Vous vivez en Allemagne et vous tentez de promouvoir des langues nationales au Cameroun. N’est-ce pas un peu contradictoire ?
En d’autres si ceux qui apprennent les langues nationales devaient vous suivre en s’expatriant, de quel intérêt serait cet apprentissage? Il s’impose au départ une clarification: en préconisant l’apprentissage des langues maternelles, seuls les esprits paresseux effectuent l’acrobatie pour faire accroire que c’est au détriment de leurs langues de soumission bien-aimées! Que non! Il y a de la place pour tout le monde.
Je cite pêle-mêle le philosophe qui a dit „connais-toi toi-même“, le sage africain qui a dit „l’arbre ne s’élève qu’en enfonçant profondément ses racines dans la terre nourricière“, le père de la négritude qui a placé le 21ème siècle sous le signe du „rendez-vous du donner et du recevoir“. Vous demandez s’il m’a fallu m’exiler pour reconnaître ma richesse? Je réponds que c’est encore honnête de reconnaître tard plutôt que jamais ce que je dois à ma culture, son immense richesse et de devoir répondre de mon ingratitude ou ma cécité en lui payant un tribut de sacrifice en termes de ce que je gagne en Europe. De même que c’est depuis le ciel qu’on visualise mieux la Terre, de même on ne reconnaît l’utilité des fesses que quand vient l’heure de s’asseoir.
Depuis le 14ème siècle, les Arabes ont émasculé les Noirs en en faisant des eunuques. Refuser de transmettre notre culture à nos enfants pourrait être comparé à les émasculer de même. Je me refuse dans ma tombe à devoir répondre de ce délit de rétention devant nos enfants. A mes enfants et à mes petits frères et soeurs, je leur dirai prophétiquement comme le philosophe interrogé sur la nécessité de croire ou non en Dieu: à votre mort, s’Il existe, vous aurez tout gagné en croyant en Lui, et s’Il n’existe pas, vous n’aurez rien perdu.
Le but 1er d’apprendre la langue maternelle est moins de s’expatrier que de se connaître soi-même, afin que l’autre ne te trompe pas avec une pseudo-culture, la culture „fast food-pop-corn“, la culture du prêt-à-porter, la culture du clinquant et du boucan, la culture de la violence et du bruitage assourdissant des armes contre la culture de l’intellect. En un mot, apprendre nos langues, nos cultures nous enseigne l’art de convaincre sans avoir besoin de vaincre, l’art du partage au détriment de la frénésie systématique de l’accumulation. En cela, j’y vois un indice d’une race grande-soeur sur des races petites-soeurs
Au moment des débats à hauts risques à fort penchant ethnique et tribal causé par une lettre de l’archevêque de Yaoundé, ne pensez-vous pas qu’un projet comme le vôtre ravive les replis identitaires ?
Ne faut-il pas envisager plutôt une langue nationale fédératrice (comme le Lingala ou le Swahili) plutôt que les centaines de langues locales ? Est-ce que si on a une langue fédératrice, toutes les tribus du Cameroun vont se diluer dans celle-ci? La solution n’est valable que pour les esprits simplistes. Attention au danger d’un concept pouvant glisser sur l’apologie de la race arienne! Je dois avouer que j’ai lu et relu la lettre du 11 juin de Mgr Bakot, et n’y ai décelé aucune ligne qui interdit l’apprentissage des langues maternelles, notre sujet de préoccupation.
Nous exécuterions donc un saut très périlleux en nous déportant sur ce terrain. Aussi me refuseré-je à me risquer à une exégèse de sa lettre où je serais hors-sujet de bout en bout. Je n’ai en ce domaine ni qualité, ni compétence et j’ai l’intime conviction que Sa Seigneurie choisirait de meilleurs avocats. Par contre, le second volet de votre question m’intéresse. Je pense que depuis les indépendances, des sommités linguistiques du Cameroun se sont penchées sur cette difficulté et ont fait des propositions à qui de droit.
On a identifié et cerné les grandes aires linguistiques du pays et proposé l’usage et l’enseignement des langues véhiculaires. D’ailleurs même, il ne faut que l’expression „repli identitaire“ rebute les individus. Ce repli dénote de l’instinct grégaire de l’homme, ce qui configure ethniquement les zones de résidence dans nos grandes villes. C’est un instinct de survie que l’on ne saurait automatiquement reprocher à l’homme. Par exemple, le département de la Lékié cerne Yaoundé par ses entrées Nord et Nord-Est, aussi les peuplades Eton habitent d’abord les quartiers les plus proches des routes qui mènent chez elles: Etoudi, Mokolo. À quelques encablures du quartier Nkol-Eton (la colline des Eton), des bouviers venant du Nord-Cameroun avec leurs troupeaux les faisaient paître dans une savane après le village des Etoudi: d’où le nom du quartier Nlong-kak, la savane où les boeufs paissent.
Lorsque la tentative de coup d’état du 06 avril 1984 a eu lieu, beaucoup de gens à Yaoundé avaient hautement eu à apprécier la possibilité de n’avoir pas à traverser la ville pour rejoindre leurs villages. Tous les camerounais tiennent en haute estime la réalité que dans notre pays, la paix est un voeu suprême. De parler une ou deux langues nationales ne nous garantit en aucune façon cette paix. Au contraire, on a vu des pays à deux ethnies se livrer par machettes interposées à une communication mondialement macabre.
Soyons cynique: la chance du Cameroun serait donc l’absurdité et l’impossibilité d’une guerre civile. Dans un pays constitué de a,b,c,d… z tribus, avec plus de 256 unités langues, quelle tribu combattrait contre quelle tribu et avec comme alliée quelle autre tribu? Les tribus alliées s’exprimeraient en quelle langue maternelle? Alors, vous parlez d’une langue fédératrice, ce sera laquelle, et pourquoi elle et pas une autre? Un tel choix, s’il n’était suivi d’un chronogramme indiquant clairement quand les autres langues nationales rentreraient dans l’enseignement pourrait heurter beaucoup de sensibilités et favoriserait le répli identitaire ou tribal. Cela risquerait de provoquer l’effet contraire. Une langue qu’on n’exerce pas s’étiole et meurt, comme le latin.
© Camer.be : Propos recueillis par Albert Ntigwo
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