(Note de Félix Kama: Ce sont deux faits apparemment antithétiques, d’une part le discours du Président le 31.12.2013 et d’autre part un article relatant une saisie d’armes de guerre dans les bagages d’un politicien camerounais il y a quelques jours à l’aéroport de Douala qui m’inspirent cette réflexion)
Tout d’abord : halte, stop ! Il est inutile d’emboucher les trompettes de damnation pour crier sur moi en me qualifiant d’oiseau de mauvaise augure, de marchand de pessimisme ou d’apprenti-sorcier pour emprunter à une terminologie connue. Sans être détenteur d’un quelconque don de voyance, bien des indices convergent vers un avenir en points d’inquiétudes pour l’après-règne de Paul Biya. Mon pays est celui où ceux-là même qui laissent une apparence d’assurance, ceux qui sont chargés de tranquilliser le petit peuple sont ceux qui font jour et nuit leurs baluchons, provisions de bouche et de guerre au cas où! Il n’y a pas un seul grand responsable au Cameroun qui ne s’inquiète en privé de la marche des affaires du pays.
Je ne m’étendrai pas longtemps sur l’abondante littérature qui a déjà été produite par des encres plus épaisses que la mienne sur le thème. S’il pouvait se faire établir une occurrence de tous ses discours, Biya se rendrait compte de la redondance de certains maux qu’il dénonce depuis plus de 2 décennies et demanderait à ses scribes d’arrêter de lui faire rabâcher les mêmes ritournelles. À faire une peinture de la société camerounaise d’aujourd’hui, je la dessinerais telle une fresque d’un peuple assis sur des starting-block, comme sur un qui-vive qui ne dit pas son nom. Les interminables files dans les ambassades et autres consulats étrangers sont un pendant aux colonnes de désespérés qui arpentent les dunes du Sahara, aux « maquisards » tapis dans les buissons maghrébins jouant au zigzag avec les garde-côtes marocains et espagnols pour marcher sur l’eau comme Jésus, ces « s’en-fout-la-mort » qui s’essayent à dompter ou tromper les requins de la Méditerranée. Quitter le pays, partir par tous les moyens est le rêve éveillé de l’immense majorité des camerounais tous âges et tous sexes confondus. On trouve des camerounais aujourd’hui jusqu’au Vanuatu ! Ne me demandez pas où se trouve ce conglomérat d’îles dans le sud du Pacifique. Le régime du Renouveau – vocable dont le géniteur lui-même a oublié le contenu depuis le temps, les y aide énormément : destruction du système scolaire et universitaire, « caporalisation » des intellectuels, système de santé qui fait de chaque malade un mort potentiel, insécurité sociale instaurée comme norme, système électoral volontairement taillé sur mesure, instauration d’un parti-état, système sportif et infrastructures décadents, opposition vassalisée… Mais laissons ces réflexions bien au-dessus de mon niveau.
Aujourd’hui bien plus qu’hier, j’ai peur. Le camerounais a peur : peur d’être malade, peur de ne pas se réveiller demain, peur des sorciers du village, peur des accidents de la route, peur des agresseurs, peur des hommes en tenue, peur de boire de l’eau du robinet (quand par hasard elle en sort), peur des voisins, peur des enseignants, peur de son chef hiérarchique, de ses enfants, de ses parents, de son chien, d’un oiseau rapace. Aujourd’hui, le camerounais, qui l’eût cru, a déjà même peur d’être nommé ministre ! Les époux ont peur des copines de leurs épouses et celles-ci ont peur des amis de leurs maris ! Peut-être est-ce même cette peur qui fait que notre président bien-aimé ne fait jamais un pas hors du palais sans épouse et enfants bien-aimés, comme un sac en bandoulière. Je ne parle pas du « chewing gum » qu’il mâche ostensiblement sur la place du 20 mai. Qu’est-ce qui peut bien faire interdire nos routes à toute circulation des heures durant quand «le choix du peuple » se déplace ? Mais laissons ces réflexions qui dépassent ma compréhension.
Aujourd’hui plus qu’hier, je suis inquiet. Le camerounais est inquiet des années à venir. Si on s’en tient à son calendrier biologique, Biya nous a officiellement demandé en 2004 d’attendre encore 20 ans. J’ignore s’il a consulté la longévité de son président du sénat, né en 1934 qui en 2024 aura exactement un an de moins que lui. 2024, ce sera comme notre coupe du monde au pays! Notre « Finkeu Tchounkeu » (merci du lapsus massa yo) est en place depuis 32 ans. Il a déjà procédé au remplacement de tous les 23 joueurs, mais l’équipe perd toujours ! Ses partisans ont convaincu les camerounais que ce sont toujours les joueurs qui sont mauvais, l’entraîneur est un « dieu » infaillible, n’est-ce pas Pr. Fame ? Seul Roger Milla a demandé qu’on change d’entraîneur, mais à l’unanimité,
nous l’avons honni. Massa Yo nous a dit en direct à la télévision : « On demande aux camerounais simplement de le soutenir » F. H. Boigny disait qu’un chef baoulé ne désigne pas son successeur, ni ne démissionne de ses fonctions. Si ceux qui nous dirigent n’ont rien appris de cette sagesse aux conséquences désastreuses que nous avons vues en Côte d’Ivoire, c’est qu’ils nous préparent à un avenir du génocide.
Mais, 2024 c’est dans dix ans, c’est demain. Je veux dire que pour un pays bien gouverné, pour un peuple soucieux de son avenir, pour une nation qui est en réalité exigeante sur son devenir, je veux dire pour un pays normal quoi, 10 ans ne sont pas aux calendes grecques, c’est une échéance qui se prépare. Pendant que l’on déplore la désertion de la jeunesse camerounaise du pays, pendant qu’on assiste impuissant au déboisement de nos forêts, heureusement on assiste au « chinoisement » du Cameroun, terres et sous-sols bradés. Je dis « heureusement » ! Ils n’ont qu’à semer le riz jusque sur les pistes qui nous servent de routes, voire sur la toiture du palais d’Etoudi. Grâce au phénomène de la métempsycose, nous reviendrons en porc-épic et en agoutis nous gaver gratuitement de ce riz. Consolons-nous de ce que même morts, nous pouvons être assurés que là-bas, nous ne mourrons pas de faim. Mais laissons ces réflexions qui dépassent mon entendement.
Aujourd’hui plus qu’hier, j’ai la chair de poule. Quand j’observe les clivages et antagonismes de ceux qui s’apprêtent dans l’ombre à prendre le relais de Biya, j’ai la chair de poule. Sans jouer au devin, je ne crains point les actuels bruits de bottes aux frontières de mon pays. Quoique… Depuis que j’y pense, la sagesse enseigne que lorsque la maison de ton voisin est en feu, garde-toi de « l’attitude stérile du spectateur ». Ce n’est pas un envahissement du Cameroun par les pays voisins qui me donne la chair de poule. Ce n’est pas clivage nord/sud qui embrasera le pays de Um Nyobe et Mahi Matip. Ce n’est pas des « apprentis-sorciers » qui détruiront le pays de Tchiroma Bakari et Bibi Ngota. Ce n’est pas un conflit musulmans/chrétiens qui détruira le pays de Ossende Afana et Mfochivé. Ce n’est pas un coup de force militaire qui déstabilisera le pays de Félix R. Moumié et Ahidjo. Il y a Dieu merci bien trop de tribus au Cameroun pour qu’un conflit ethnique y ait lieu, et le brassage entre elles n’est pas un leurre.RDEE Pre-départ C’est une déflagration corporative et fratricide qui menace de détruire le berceau de nos ancêtres après Paul Biya.
La déflagration corporative prendra la forme des règlements de comptes entre les pontes d’un système qui a créé d’illustres inconnus qui, catapultés sur un strapontin administratif ou financier se sont illicitement à milliards enrichis. Ce sera des règlements de compte entre coquins d’un même parti qui auront appris que politiquer revient à se faire des coups bas, à s’anéantir mutuellement, à se détester mortellement. Ces coquins se tiennent à travers un système de cooptation, de « promotion-canapé », de « promotion homo », de promotion d’incompétents et truqueurs de diplômes, de promotion-délation, de promotion-confrérie, de promotion tribale…
Depuis un certain temps, on observe sur le territoire national une fleuraison d’organes d’informations d’un genre journalistique dont le Cameroun seul détient l’art d’accouchement : les journaux chargés de mission. De la pure prestidigitation journalistique ! Ils ont à leurs manettes des hommes d’affaires hommes-liges qui sont les prolongements des hommes au pouvoir. Il y a des parutions anti-Iya Mohamed contre des journaux pro-Marafa ; des parutions anti-Essimi Menye contre des journaux pro-Essimi Menye ; des parutions anti-Amadou Ali contre des journaux pro-Cavayé ; des parutions anti-R.Nkili contre des journaux pro-Ousmane Mey ; des parutions anti Laurent Esso contre des journaux pro Etoundi Oyono ; des parutions anti Mebe Ngo contre des journaux pro Ze Meka ; des parutions anti Bidoung Mkpatt contre des journaux pro Messengue Avom… Les radios et télévisions privées participent toutes à ce macabre jeu digne du far-west où les journalistes à gages vêtus de pourpres costumes de justiciers essaiment la mort par la plume et le micro. Passée l’époque des listes de présumés homosexuels et listes de fonctionnaires milliardaires, on a les listes des potentiels candidats à la géhenne de Kondengui, les listes des ministres incompétents et les listes des futurs ministres. Certains journaux se sont spécialisés dans l’annonce imminente d’un remaniement ministériel. Depuis 4 mois, ce remaniement est au jour le jour imminent !
Quant à la déflagration fratricide, elle viendra de ce que le système gouvernant a fondé son existence sur la création d’une élite de village. Par la force du laisser-faire et de l’absence de
l’accountability, un décret présidentiel fait du camerounais un élu, un petit président aussi bien dans son lieu de travail que dans son aire d’origine. Et pour tenir cette élite en laisse, ce système met sur pied et entretient insidieusement des antagonismes entre ces « créatures » du Renouveau. Au risque de pouvoir ne pas faire le tour de ces rivalités mortelles entre des frères d’ethnies ou de village, je n’en citerai aucune. Mais tout camerounais connaît dans son aire ethnique ces élites qui ne « peuvent pas se sentir » mutuellement. Toutes les 10 régions du Cameroun, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest regorgent en leur sein des frères de sang appartenant au même parti, mais qui se vouent une haine mortelle. Le procédé est simple : un frère du village ou de la même tribu remplace un autre dans les postes ministériels ou comme DG. Très souvent, celui-ci n’a pour seul mérite que d’être le frère de sang de l’autre. Et chacun qui arrive entretient une cour de cousins, frères et beaux-frères qui sont ses yeux et ses oreilles contre ses « ennemis du village», et le plus grand d’entre eux est son cousin qui a été viré de la mangeoire. Le rêve de ce dernier n’est d’ailleurs que d’y faire son grand retour. Et les flagorneries et commérages vont bon train et vicient les relations entre frères de sang. Les mauvaises langues rapportent même que ces « villageoiseries » ont pignon sur rue là-haut. Tenez, sans être si loin de ce que je développe, on a vu en coupe du monde en 2010 un conflit entre cousins d’une même tribu déteindre sur la performance des lions indomptables et nous reléguer des années durant au rang de risée du monde de football.
En ce qui est des forces armées nationales, il n’en va pas autrement. C’est un panier de crabes où les promotions, les retardements, les mises à la retraite ou les maintiens aux fonctions ressortissent de l’art du maître-sorcier. Chaque soldat dont le retardement « arbitraire » à l’avancement dans la carrière serait causé par un de ses supérieurs ne rêve que de lui faire la peau le jour où les choses changeront en haut. Il couve donc au sein de ces corps entre les individus un esprit mortel de revanche que seule la bannière de « grande muette » permet de bâillonner. Or, ainsi que dans les autres corps de métier de l’État, l’entrée aux métiers de l’armée et de la police tient bien moins du mérite que de la « godasse » tribale ou financière. Ceci créé un lien infaillible d’assujettissement, de reconnaissance et qui s’établit bien au-dessus d’une obéissance aux ordres du supérieur. Il y a donc une chaîne de redevance, d’affidés qui se forme subrepticement. De ce lien de cause à effet, il existerait au sein de ces corps de sécurité beaucoup plus de milices informelles qu’on ne le soupçonne. En quelques décennies, des sociétés de gardiennage ont prospéré dans le pays, derrière lesquelles se cachent de grosses légumes de l’armée et de la haute administration. Bizarrement, les braquages et l’insécurité ne se sont jamais aussi bien portés ! Un pays où les gens s’arment, surtout de fusils de guerre est une préparation au « far west ». Pour un malchanceux le député suppléant que l’on a pu attraper, combien sont-ils aujourd’hui au Cameroun dont les maisons et châteaux abritent de vrais arsenaux ? Et comme chez nous toujours, « l’enquête suit son cours » jusqu’à la mer, il y a lieu de penser qu’elle va s’y noyer. Comme des centaines d’autres n’ayant jamais abouti.
Une gouvernance moderne se doit d’être suffisamment lisible. Gouverner, c’est prévoir, c’est baliser le chemin de la continuation. La vie est comme une course de relais. A courir sans savoir à qui on va passer le témoin, on court sans but. La politique du flou quant aux mécanismes de succession à la tête du pays avait donné naissance à la fameuse « nébuleuse du G.11». On sait aujourd’hui où se trouvent comme par hasard tous ceux qui étaient de près ou de loin cités dans ce mouvement. Dans la panique, Biya avait dû modifier la constitution. Il n’en demeure pas moins aujourd’hui que chaque camerounais qui a occupé quelque strapontin rêve secrètement de le remplacer. Rêve du reste légitime, ne serait-ce que par la force du calendrier biologique. O Cameroon, cry, my beloved country, cry. Your sky is covered with big dark clouds.
P.S. J. Baptiste Poquelin alias Molière écrivait : « On désespère même alors qu’on espère toujours » Je prie tous les mânes de nos ancêtres protecteurs qu’au plus tard en 2024, une transition en douceur ait lieu au Cameroun berceau de nos ancêtres et me donne tort sur toutes ces visions cauchemardesques.
© Correspondance : Félix Kama
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